vendredi 4 avril 2008

Un extrait du dernier ouvrage, en travaux pour l'instant

Pour les curieux et les curieuses, une exclusivité : un petit bout de ma prochaine histoire. Le titre pressenti est Supergatto di Venezia, mais rien n'est figé.
En gros, il y est question d'un chat égocentrique qui se retrouve au cœur d'une enquête policière dont il se contrefiche complètement d'ailleurs. Seules ses histoires de félin l'intéressent !
Le lecteur aura une vue plus globale de l'intrigue, relevée des réflexions critiques d'un chat qui est persuadé que le monde n'existe que pour lui et ses congénères.

Uno

Qu’il est pénible, ce chien !

Complètement stupide ! Ça fait une heure, non, deux au moins, que j’essaie de dormir et que les hurlements de ce balourd m’empêchent de fermer l’œil.

Ou alors trois heures. Je ne sais pas exactement, puisque je n’ai pas de montre. Enfin très longtemps, ça, c’est sûr !

D’ailleurs, si j’en avais une, de montre, je me demande bien comment je ferais pour la porter ; mes poignets sont bien trop fins pour ça ! Je suis un chat.

Mon nom, c’est Wilson. J’habite dans un endroit qui s’appelle Dorsoduro. Ma maison est au bord d’un canal, avec une petite rue sur un des côtés. Comme j’ai pas mal de place, je permets à des humains d’y habiter aussi. En échange, ils m’apportent à manger.

Mes humains, c’est la famille Murphy. Il y a le père, qui n’est pas souvent là, peut être parce qu’il est irlandais, la mère qui s’appelle Paola, et leur fille Laura.

Pas loin de chez moi, il y a une grosse bâtisse en pierre grise où je vais parfois quand j’ai envie d’enquiquiner quelques rongeurs pour me distraire. Ça s’appelle Santa Maria della Salute, et la plupart du temps, c’est fermé aux humains, heureusement ! Bien sur, nous, les chats, nous avons le droit d’y entrer quand nous voulons. On y trouve les plus beaux mulots du monde.

Par contre, quand les humains ont la permission d’y aller, pour une raison que je ne comprends pas bien, ils font un bruit de tous les diables dans la grande salle. Ils chantent, ils jouent de la musique sur un instrument plein de tuyaux, ça résonne partout, et là, tu peux toujours t’accrocher pour trouver quoi que ce soit à chasser. Le désert complet, que c’est !

Mais bon, la chasse au mulot, c’est juste pour m’amuser. Les humains qui habitent chez moi payent leur dû sans rechigner, et ça pourrait suffire largement à me nourrir.

Si par hasard ils mettent un peu trop de temps à me donner mon déjeuner, ou alors mon dîner, ou un de mes en-cas, je n’ai qu’à m’asseoir juste devant l’armoire blanche où ils rangent ma nourriture. Là, j’attends que quelqu’un passe, je me concentre, et j’envoie des pensées : « Il faut nourrir le chat ! Il faut nourrir le chat ! »

Ça marche à tous les coups : l’humain répète « Oh ! Il faut nourrir le chat ! » pour bien me montrer que le message est passé, puis le frigo (c’est l’armoire blanche) s’ouvre et je reçois à manger.

J’ai des copains, dehors, qui croient que les humains ne peuvent pas recevoir de messages par la pensée. Moi, je suis bien certain que si ! Enfin, les miens, en tout cas, ils peuvent, surtout Paola et Laura.

Quand il y a trop de tintouin à « la Salute », je vais faire un tour dans des jardins, pas très loin. Il y a deux grandes maisons occupées seulement par des chats, chacune d’un côté d’un petit canal. L’une s’appelle Palazzo Dario et l’autre... je crois qu’elle ne s’appelle pas.

Ça ne fait rien, les jardins sont agréables et il y a de quoi s’amuser... enfin pour un chat. En plus, ça fait des années qu’il y a tout un enchevêtrement de poutres et de planches entre les deux maisons : un vrai paradis !

Tout près, il y a aussi un pont, que nous appelons le Pont Tordu, et puis une petite place qui s’appelle Piazello Barbaro. C’est là que j’habite.

Le seul problème, c’est ce canal : il faut faire attention, sinon, on se mouille ! Il n’est pas très large, mais quand même un peu trop pour pouvoir sauter d’un côté à l’autre !

Moi, ce que je préfère, c’est le jardin du Palazzo Dario : c’est tranquille. Pourtant, il m’arrive (pas très souvent, c’est vrai) de longer un échafaudage pour aller voir de l’autre côté, mais là, c’est beaucoup moins calme !

Non, je ne devrais pas le dire comme ça : en réalité, c’est un endroit complètement affolant, affolé ! De l’agitation, du bruit, des cris et des gens qui courent comme des dératés. Et ils ne font pas que courir : il y en a surtout qui filent en tous sens sur des barques, des bateaux, des gondoles et des vaporetti. Quel plaisir peuvent-ils avoir à monter sur ces engins là, je vous le demande ! C’est dangereux, bruyant et mouillé ! Tout ça pour traverser ou remonter (ou alors descendre, ça dépend) un grand canal qu’ils appellent le Grand Canal.

Original, comme nom, vous ne trouvez pas ?

Comment ça, ce que c’est que des vaporetti ? Un vaporetto (s’il y en a plusieurs, c’est des vaporetti), c’est un genre de grande barque noire et blanche où des dizaines d’humains s’entassent au risque de tout faire couler. Ils se disputent, ils se bousculent, se marchent sur les pieds et s’en vont faire un tour sur l’eau.

Ça n’a pas l’air de leur plaire, mais ils le font quand même. Quand ils en ont assez, ils finissent tout de même par descendre et regagner la terre ferme et ils n’ont pas l’air d’être tellement plus contents qu’avant.

Bizarre, non ? Et je ne vous parle pas des gondoles, avec un humain qui reste debout et qui chante à tue-tête pendant que deux autres, assis, se regardent en chiens de faïence !

Un autre endroit que j’aime bien, c’est celui que j’appelle le Jardin du Trône. On ne peut y aller que la nuit, parce que dans la journée, c’est ouvert aux humains, qui s’y comportent comme s’ils étaient chez eux. Ils entrent, ils sortent, ils parlent dans tout un tas de langages que je ne comprends pas, ils prennent des photos et ils rigolent. Il y en a même qui osent s’asseoir sur le Trône !

Et hop, re-photo !

Le Trône, c’est réservé au chat qui a quelque chose d’important à dire aux autres félins de Dorsoduro. On ne l’utilise pas souvent, mais je peux vous dire que quand on s’en sert, c’est qu’il y a quelque chose de sérieux !

On va dans le Jardin pour la Saint Mistigri, aussi.

La Saint Mistigri, c’est tous les deux ou trois mois à peu près : on se retrouve tous là et on s’amuse bien : on fait du bruit. Ces jours là, le Trône ne sert que pour proclamer l’ouverture de la fête, et après on n’a plus le droit d’y monter. Mais on monte sur d’autres choses : les humains ont placé plein de bidules amusants pour que les chats puissent grimper. Alors on en profite : on court, on saute, on s’amuse, et comme ça tout la nuit.

Quand les chats ne sont pas dans le Jardin du Trône, les souris n’y dansent quand même pas, parce que c’est infesté d’humains. Ils appellent ça un musée. Ça aussi, c’est un drôle de truc : ils se bousculent pour aller voir des images accrochées sur les murs et des sculptures placées un peu partout au milieu du chemin.

Moi, je ne suis jamais entré, mais j’en ai vu quelques unes par la fenêtre, de ces fameuses images. Eh bien vous savez quoi ? Ça ne m’a pas donné envie, mais alors pas du tout, d’en voir davantage ! On apercevait la photo d’une vieille humaine avec tout un tas de chiens autour d’elle ! Je vous demande un peu... des chiens !

Les humains vont exprès dans des endroits où ils peuvent voir des photos de chiens ! Et en plus, mon pote Dandolo, un autre chat du quartier, prétend qu’ils payent pour aller voir ça. Heureusement, je sais que Dandolo exagère toujours et qu’il lui arrive de raconter n’importe quoi !

Je fais semblant de le croire, et je le laisse dire.

Quand même... des chiens !

Et celui d’à côté, tiens, qui continue son tintamarre ! Il ne peut donc pas se taire, ce ramolli du cerveau ? Il hurle à la mort, ou quoi ?

A bien y réfléchir, j’ai l’impression que c’est ça : il hurle à la mort.


Due


Quand un chien hurle à la mort, c’est souvent parce qu’il est enfermé. Rien de plus grave que ça.

Comme le chien est en général trop paresseux pour partir en exploration, et trop stupide pour trouver la sortie tout seul, il reste comme une andouille, vautré sur un canapé ou un fauteuil. Les humains en profitent pour le planter là, et quand la nature lui rappelle qu’il a une vessie, il hurle.

Un chien ne sait pas grand-chose, mais il sait tout de même qu’il n’a pas le droit de mouiller le canapé, ni les tapis, ni rien en fait.

Alors quand il s’aperçoit qu’il ne peut pas sortir, il braille comme si toute la misère du monde s’était abattue sur sa pauvre tête de chien. Quelquefois, c’est même trop tard pour le canapé, et il hurle juste pour éviter de se faire disputer.

Mais bon, celui là, en ce moment précis, il me casse vraiment les oreilles !

Bougre d’empoté ! Il ne peut donc pas sortir tout seul ? Je crois que si je veux être tranquille, il va falloir que j’aille lui ouvrir, mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude !

Bon, d’abord, me lever, et puis surtout m’étirer. En règle générale, je m’étire quand j’ai bien dormi... Mais là, je crois bien que je n’ai pas fermé l’œil une seule seconde, avec l’autre excité des cordes vocales ! Ça ne fait rien, je m’étire quand même. Je ne vais pas me précipiter à son secours, non ?

Je monte jusqu’aux chambres du dernier étage, juste en dessous des toits. De là, c’est facile de passer dans la maison d’à côté et puis de redescendre. Je ne le fais quand même pas trop souvent, parce que quand le chien me voit, ça le met dans tous ses états.

Bon, la corniche, le soupirail, j’arrive dans le grenier du voisin. Direction l’escalier, premier étage, rez-de-chaussée, la cuisine... la porte de derrière donne sur le jardin. Elle est facile à ouvrir, c’est juste une espèce de barre sur laquelle je dois me suspendre et me balancer un peu. Au bout de deux ou trois fois, ça s’ouvre tout seul. Un jeu de chaton !

Même un chien devrait pouvoir y arriver. Enfin, peut être pas celui-ci : il est quand même particulièrement nouille!

Clac ! Une bonne chose de faite ; Maintenant que la porte est ouverte, je n’ai plus qu’à sortir le chien.

Non mais quand même, ce qu’il ne faut pas faire pour dormir en paix ! C’est le boulot de Monsieur Barbieri, son humain, ça !

Le balourd est dans la pièce à côté, en train de continuer sa sérénade. Et ça crie, ça s’égosille, ça pleurniche... à l’entendre, on ne dirait jamais qu’il est trois fois plus gros que moi. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai ouvert la porte de derrière avant de me montrer : dès qu’il me verra, il va s’énerver. Je filerai par la porte ouverte et il n’aura qu’à me suivre.

Je l’emmènerai jusqu’au jardin, mais pas plus loin : dès qu’il sera sorti, il faudra que je saute sur une branche, et de là sur le mur. Tant pis s’il s’agite : pas question de rester avec lui en bas !

Pousser la porte pour lui permettre de venir dans la cuisine... Houlà, c’est plus dur que je ne pensais ! On dirait qu’il y a quelque chose qui coince. Ça bouge, mais pas aussi facilement que je l’espérais.

Ne me dites pas que c’est l’autre imbécile qui s’est assis derrière la porte pour pleurnicher !

J’hésite un moment sur la conduite à tenir, et moi, c’est toujours pareil quand j’hésite : je fais un brin de toilette. Tout en me léchant les coussinets, je me dis qu’en poussant assez fort, ça devrait pouvoir s’ouvrir. Je vais encore me salir, mais bon…

Je me précipite sur le battant avec mes pattes de devant ; vlan, prends ça ! Un coup dans le râble ! Ça t’apprendra à bloquer les portes.

Il continue comme si de rien n’était. Bon, la porte s’ouvre un peu plus : c’est déjà ça. Je recommence ?

Allez !

Deuxième assaut, la porte est encore un peu plus ouverte. Il est complètement idiot de rester comme ça derrière la porte ! Enfin, s’il aime recevoir des coups, je veux bien être gentil avec lui et lui en donner, après tout. Mais que ça ne dure pas tout l’après midi : j’ai une sieste à faire, moi !

Je m’élance encore deux ou trois fois. La porte s’ouvre de plus en plus. Le chien, lui, il braille toujours pareil : pas plus, pas moins.

Je juge que l’ouverture devrait être suffisante pour lui. Le moment est venu de l’attirer dans la cuisine, et de là, dans le jardin. Je passe la tête par l’entrebâillement... tiens ce n’est pas le chien qui est derrière la porte !

C’est un humain ! Il est allongé par terre.

On dirait monsieur Barbieri ! Qu’est ce qu’il fait là ?

Le chien s’est arrêté de hurler. Il m’a vu, il me regarde avec ses yeux moites, totalement pathétiques. Il doit être malade : d’habitude, il se serait déjà précipité sur moi en aboyant comme un possédé.

Ça m’intrigue, ce bonhomme par terre. D’habitude, il est debout. Pourquoi est-ce qu’il est allongé là ?

Est-ce qu’il serait en train de faire semblant de dormir pour faire taire le chien ? Il n’a pas l’air de bouger du tout ! On dirait même qu’il ne respire pas. J’entre prudemment dans la pièce, le chien ne réagit pas. Il se contente de pousser de petits gémissements ridicules, comme s’il me demandait quelque chose. Je n’en ai pas assez fait pour lui, peut être ?

Hé, ho ! La porte est ouverte, crâne de piaf !

Monsieur Barbieri est un drôle de type ! Déjà, il habite dans une maison qu’il partage avec un chien, rien que ça, c’est une idée saugrenue ; mais maintenant, voilà qu’il se couche derrière les portes. Je renifle un peu. Il ne bouge pas du tout.

Il est peut être mort, après tout.

Oui, c’est sûrement ça, il doit être mort. Bon, alors si c’est ça, c’est une bonne raison pour rester là sans bouger. Je préfère : je n’aime pas les situations que j’ai du mal à expliquer.

Enfin, me voilà rassuré : tout va bien. La porte est ouverte, le chien peut aller se promener s’il en a envie, et moi je vais pouvoir dormir. Enfin ! Pas trop tôt !

Pour Monsieur Barbieri, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire, ni moi ni qui que ce soit. C’est simplement un peu embêtant pour le chien... Qui va lui donner à manger ? Les chiens ne savent pas trouver leur nourriture tout seuls, c’est bien connu ! Le mieux est sans doute de laisser la porte ouverte. J’espère que personne ne va avoir l’idée d’enfermer dans la maison cette cervelle de souris : je serais obligé de retourner lui ouvrir !

Je réfléchis à tout ça, et bien sur, quand je réfléchis, je me lave un peu, ça stimule les neurones. Je crois que je vous l’ai déjà dit, non ? C’est pour ça que nous nous lavons souvent, nous autres les chats : ça nous permet de réfléchir.

C’est sans doute aussi pour cette raison que les chiens sont stupides : ils ne se lavent pas assez.

Allons bon ! Qu’est ce qu’il a, maintenant ? Le voilà qui se met à grogner ! Je lui fais mon regard qui paralyse, droit dans les yeux. Mon fameux « Tu ne m’impressionne pas ! »

Et alors ? Il continue ? Tout ça parce que j’ai mis quelques pattes sur Monsieur Barbieri pour

mieux sentir ce qui se passait ? Je n’ai pas le droit de monter sur Monsieur Barbieri ? Il s’en fiche : il est mort !

Ça y est, le voilà qui m’aboie après ! Le chien, je veux dire ; Monsieur Barbieri ne ferait jamais une chose pareille, surtout maintenant !

Il va me sauter dessus ! Repli stratégique d’urgence : Je me carapate à toute vitesse par l’entrebâillement de la porte, traverse la cuisine avec la brute sur les talons. La porte de derrière, le jardin, le tronc du figuier, la branche, le mur...

Ouf ! Mission accomplie. Je marche encore un peu sur le mur pendant que le chien s’énerve tout seul en bas. Laissons-le se fatiguer un peu, il dormira mieux ce soir, et moi aussi avec un peu de chance.

Il devrait être bien, là, dans le jardin. En cherchant un peu, on peut y trouver plein de bestioles : des mulots, des piafs en tous genres… il devrait quand même réussir à attraper quelque chose à manger. Enfin, qu’il ne compte pas sur moi pour le nourrir, je ne suis pas sa mère !

Pas son père non plus, surtout que depuis mon opération… bon, mais ça, c’est une autre histoire.

Je remonte me coucher. C’est que je n’ai pas fini ma sieste, moi !



Les chiens ont des maîtres, les chats ont des esclaves.

Je ne sais plus qui a dit ça, mais je crois que je pourrai le mettre en exergue de l'histoire dont vous venez de lire le début...



Si vous voulez m'écrire : jeanlouis.jabale@club-internet.fr



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