mardi 3 juin 2008

Supergatto

Des nouvelles de Wilson, le chat égotiste.
Il a découvert un machabbée dans la maison à côté de la sienne (Il est convaincu que c'est la sienne, ne le décevons pas, c'est inutile) mais tout ce qui l'intéresse, c'est que le chien du bonhomme va enfin quitter le quartier.
De toute façon, que le voisin soit vivant ou mort, ça ne fait aucune différence pour lui : vous allez comprendre pourquoi dans ce chapitre.

Quattro

Peggy et Dandolo étaient en train de rêvasser au soleil de la fin d’après midi.

Dandolo, je vous en ai déjà parlé : c’est mon copain qui raconte toujours des choses extravagantes, mais que je fais semblant de croire parce que sinon, il a l’air contrarié. Tiens, par exemple, un autre truc impossible qu’il m’a raconté, c’est à propos des gondoles : il dit que les gens qui montent là dedans sont des amoureux !

Ça, ça m’étonnerait bien !

Quand on est amoureux, on miaule très fort, on se mord le cou et on se roule par terre, c’est ce qu’on fait quand on est normal, en tout cas. Mais eux, ceux qui vont dans les gondoles, je veux dire, ils ne font rien de tout ça, et d’ailleurs, je ne sais pas ce que ça donnerait si des humains faisaient de pareilles acrobaties ! Tout le monde passerait à la flotte, c’est sûr !

Alors ils restent simplement assis comme des idiots en se tenant les mains, sans doute au cas où il y en aurait un qui tomberait à l’eau.

Et puis normalement, quand on est amoureux, on se fait des cadeaux : un mulot ou un rouge-gorge... eh bien croyez le ou non : c’est au troisième humain qu’ils font des cadeaux, à celui qui reste debout ! Enfin, quand je dis des cadeaux, je devrais plutôt dire qu’ils lui refilent des bouts de papier froissés qui ne sentent pas très bon. Mais ça ne fait rien : il a l’air content quand même, et il les garde tous dans une espèce de pochette pleine d’autres bouts de papier froissés et malodorants.

Après, il se met à chanter.

Peggy, c’est une chatte tigrée qui habite un peu plus loin, près du Jardin du Trône. Elle dit que c’est pour ça qu’on l’a appelée Peggy, mais bon, moi, je ne vois pas trop le rapport.

Dandolo raconte que c’est à cause de la dame aux chiens. J’ai bien l’impression que ce pauvre Dandolo n’a pas toute sa tête. Il prétend que l’humaine qu’on voit sur les images du musée, entourée d’une demi-douzaine de roquets, s’appelle Peggy. Pourquoi est ce qu’on lui aurait donné un nom de chat, si c’est pour la prendre en photo à côté de tout un tas de chiens ?

Bref, pour le moment, Peggy et Dandolo sont en train de rêvasser au soleil. Plus pour longtemps, parce que le soleil va bientôt se cacher derrière la maison d’à côté.

- Vous êtes tout seuls ? demandai-je.

Dandolo donne un coup de queue, ça veut dire oui.

- Pas d’autres chats ? Les fantômes ne sont pas encore sortis ?

Un autre coup de queue, ça veut dire non. Nous autres les chats, nous avons une gestuelle pleine de subtilité.

- Pas vu Bagheera ?

- Non, elle doit faire du baby sitting.

Bagheera est une chatte noire, non pardon, marron très foncé, qui habite au dessus d’une pizzeria.

Une pizzeria, c’est un endroit où des humains viennent manger des pizze. Ce n’est pas très bon, la pizza, mais les humains ont l’air d’aimer ça quand même, parce qu’ils sont assez nombreux à y aller.

Enfin quelquefois, c’est quand même un peu bon, quand on n’a rien d’autre à manger et quand il y a des crevettes ou des anchois dessus.

Et puis quand Bagheera est là, aussi.

Mais ce soir, Bagheera fait du baby sitting. Ça veut dire qu’elle reste avec de tout petits humains qui ne savent pas encore parler au cas où il y aurait un problème.

Mais il n’y a jamais de problème avec Bagheera. Heureusement, d’ailleurs, parce que je ne sais pas ce qu’il faudrait faire dans ce cas là. J’imagine qu’elle ne le sait pas non plus.

Peut-être miauler très fort pour appeler Graziella, la jeune fille qui vient lui donner un coup de main quand elle fait du baby sitting.

Je me nettoyais le bout des pattes en pensant à tout ça. Je me dis que ce serait peut être une bonne idée de m’allonger un moment au soleil moi aussi.

Je m’installe à une distance raisonnable de Dandolo, pas trop près de Peggy non plus. Nous sommes très chatouilleux sur les questions de voisinage, nous les chats.

Ça a un avantage : au moins on peut dormir. Enfin ! C’est tranquille, ici, et puis il n’y a pas un imbécile pour aboyer à côté.

Alors j’ai dormi.

Plutôt bien dormi, même, merci de me le demander.

Quand je me suis réveillé, c’était le soir, Dandolo était dans le Palazzo en train de bavarder avec des fantômes.

Celui qu’on appelle « Le Comte » est un grand bonhomme barbichu avec une veste rouge et jaune, et une espèce de drôle de pantalon collant un peu vert. Il a un chapeau avec une plume, ou peut être deux ; et une épée suspendue à son côté gauche. Je ne sais pas bien à quoi ça peut servir l’épée, parce que la seule fois où je lui ai posé la question, il a eu l’air très triste et il a répondu :

- Elle ne me sert à rien, à rien du t… tapis.

Il faut que je vous explique que les fantômes ont un petit défaut : ils n’arrivent pas à prononcer convenablement le dernier mot de la phrase qu’ils disent. C’est un autre mot qui sort à la place, qui commence pareil mais qui veut dire autre chose. C’est parfois difficile à comprendre.

Enfin, personne n’est parfait, à part certains chats.

- Mais pourquoi tu as ça, si ça ne sert à rien ? Tu dois bien t’en servir pour quelque chose, non ?

- Elle n’a même pas pu sauver ma v… veste.

Elle était très bien, sa veste. Ça devait être autre chose… sa valise ? Sa verveine ?

Trop compliqué. Et puis ça avait l’air de le rendre vraiment triste. J’ai laissé tomber.

Avec eux, il y avait celle qu’on appelle Roberta la Rascasse. Une grosse dame, haute comme la moitié du Comte et deux fois plus large. Quand elle est là, il flotte toujours dans la pièce une odeur de poisson qui nous plait bien, à nous les chats. Il parait qu’autrefois, elle en vendait, mais qu’elle s’est noyée un jour en courant après un voleur qui lui avait pris une sole, une saupe ou une sardine… On ne sait pas exactement, mais ce qui est certain, c’est que ça commençait par S et qu’il ne s’agissait pas d’une salade.

Même si c’est ce qu’elle a dit.

- C’est désolant, disait Roberta, le Palazzo est en train de tomber en r… roulette.

- C’est parce qu’on leur fait p… pitié.

- Vous voulez dire qu’il tombe en ruine parce que vous leur faites peur ? demanda Dandolo. Vous faites peur aux humains ?

- Oui, c’est ça. On leur fait p… poivre.

- C’est toi, Roberta, qui leur fais peur, avec ton tablier et ton odeur de p… potiron.

- Dis plutôt que c’est Monsieur Le Comte, avec sa mine d’âme en p… poche.

- Ils s’imaginent que nous sommes d… danseurs.

- Alors personne ne veut l’ach… achever.

- Et bien sûr, personne ne fait de t… tricots.

On les écoutait poliment, mais on n’y comprenait pas grand-chose. Sauf qu’il aurait fallu des tricots pour que le Palazzo ne tombe pas en roulette. Si ça devait arriver un jour, ça ne serait certainement pas bon pour nous les chats !

Un humain qui faisait des films, un américain pas très grand avec des lunettes, avait bien eu l’intention de l’acheter, quelque temps avant, mais il l’a visité deux ou trois fois et puis pffft, on ne l’a plus jamais revu. Dommage, il aurait surement pu faire des tricots, lui.

- Tiens, voilà notre nouveau c… caramel !

En effet, un nouveau fantôme venait d’arriver. Je reconnus Monsieur Barbieri.

- Hé ! S’écria-t-il en m’apercevant, mais c’est Wilson ! Quelle bonne s… sonnerie !

- Bonjour Monsieur Barbieri. Comment ça va ?

- Oh, p… pas très bien, m… mon pauvre Wilson. J… J’ai été a… assaisonné.

- Vous voulez dire assassiné ?

- Oui. Av… avec un p… poulet.

Ça pouvait être avec un poignard, un pistolet ou un presse-purée. Ça n’avait pas vraiment d’importance de toute façon. Moi, je préférais qu’il ait été assassiné, Monsieur Barbieri : au moins, maintenant on pouvait bavarder tous les deux, même s’il avait tendance à bégayer un peu, mais ça, il le faisait déjà quand il était vivant. Je remuai la queue, ce qui veut dire la même chose que de hocher la tête pour les humains, je crois.

Bon, je ne vous explique pas une deuxième fois ce que veut dire assassiné. Si vous ne savez toujours pas, c’est que vous ne faites pas attention à ce que je vous raconte, et alors je ne vois vraiment pas pourquoi vous lisez cette histoire.

Bref, je trouvais ça plutôt bien, qu’il ait été assassiné, Monsieur Barbieri : je l’aime bien, et maintenant qu’il était mort, on allait pouvoir discuter tous les deux !

C’est comme ça que j’ai appris pourquoi il y avait un chien chez lui.

Ça me paraissait bizarre qu’il habite dans la même maison qu’un chien. Il m’a dit que c’était celui de sa tante et qu’elle ne pouvait plus s’en occuper. Ça confirme ce que je pensais : la maison n’appartient pas au chien, et d’ailleurs, comme tous les chiens, il n’est même pas capable de se débrouiller tout seul.

Mais ça, je le savais.

Nous avons passé une bonne soirée tous ensembles, les chats et les fantômes. Le Comte nous racontait des choses auxquelles on ne comprenait rien, mais c’était drôlement agréable de discuter avec lui.

Ils ont demandé à Monsieur Barbieri comment il était arrivé là, et je crois bien que personne n’a vraiment compris sa réponse, en tout cas, pas moi.

Il a parlé d’une personne qui s’appelait la Mamma Fia (ou quelque chose comme ça) et d’une histoire de poubelles qui rapportaient de l’argent. Je me demande si c’est vraiment de poubelles qu’il voulait parler. Peut être qu’il n’y a pas que les derniers mots qui clochent dans les phrases de Monsieur Barbieri.

Les poubelles, ce sont des espèces de sacs dans lesquels on peut trouver des choses à manger. D’habitude, ce sont les chats défavorisés qui viennent s’y nourrir. Quand ça sent trop fort, il y a des humains qui viennent les chercher, sans doute pour les donner à des chiens, et puis d’autres humains en remettent des nouvelles. Comme ça, les chats malheureux ne meurent pas de faim. Les chiens non plus, mais la sensiblerie des humains avec ces créatures est vraiment exagérée !

Comment est ce que les poubelles pourraient fabriquer de l’argent ? Et puis d’ailleurs quel intérêt ? L’argent, ça sert à faire des colliers ou des bracelets : je le sais puisque Laura a un bracelet en argent. Ça n’a pas l’air de sentir comme les poubelles !

J’essayais de remettre en ordre les éléments sans queue ni tête que Monsieur Barbieri nous avait livrés : une dame qui s’appelait Mamma Fia voulait lui voler sa poubelle pour faire des bracelets en argent. Je suppose que Monsieur Barbieri a essayé de l’en empêcher pour que son crétin de chien ne meure pas de faim, en tout cas, c’était la seule explication que je pouvais imaginer.

Dans la soirée, quand il faisait nuit depuis un moment, Bagheera est arrivée : elle avait fini de faire du baby sitting.


Voilà pour les fantômes. Ils vont certainement avoir leur importance dans la suite de l'histoire. On a souvent prétendu que les chats avaient des relations privilégiées avec l'au delà; maintenant, grâce à Wilson, nous savons que c'est vrai !