vendredi 16 janvier 2009

Un LIEN VERS LE SITE DE PEINTURE (ci dessous)


Pour ceux et celles qui auraient vu les deux tableaux d'inspiration aborigène que j'ai exposés au Corum des peintres, et qui voudraient voir les autres, j'ai en principe fourni aux organisateurs de cette manifestation une adresse permettant de voir mes œuvres presque complètes (non, j'exagère un peu).
Mais un doute m'assaille : Est ce que j'ai donné la bonne adresse? Si vous êtes sur cette page, vous êtes sur le blog que j'ai qualifié de littéraire (et donc ce n'est pas la bonne adresse pour les tableaux).
Bien sûr, rien ne vous empêche de jeter un coup d'œil à mes écrits, mais je crois que vous n'êtes pas venus pour ça.
Donc, les peintures aborigènes sont là : jabalepeinture.blogspot.com
Si vous cliquez sur une des deux images, ça marche peut être aussi.


Bonne visite...


Il y a aussi le site d'Artquid, sur lequel vous pourrez voir une sélection de mes tableaux, que j'ai mis en vente.

mardi 3 juin 2008

Supergatto

Des nouvelles de Wilson, le chat égotiste.
Il a découvert un machabbée dans la maison à côté de la sienne (Il est convaincu que c'est la sienne, ne le décevons pas, c'est inutile) mais tout ce qui l'intéresse, c'est que le chien du bonhomme va enfin quitter le quartier.
De toute façon, que le voisin soit vivant ou mort, ça ne fait aucune différence pour lui : vous allez comprendre pourquoi dans ce chapitre.

Quattro

Peggy et Dandolo étaient en train de rêvasser au soleil de la fin d’après midi.

Dandolo, je vous en ai déjà parlé : c’est mon copain qui raconte toujours des choses extravagantes, mais que je fais semblant de croire parce que sinon, il a l’air contrarié. Tiens, par exemple, un autre truc impossible qu’il m’a raconté, c’est à propos des gondoles : il dit que les gens qui montent là dedans sont des amoureux !

Ça, ça m’étonnerait bien !

Quand on est amoureux, on miaule très fort, on se mord le cou et on se roule par terre, c’est ce qu’on fait quand on est normal, en tout cas. Mais eux, ceux qui vont dans les gondoles, je veux dire, ils ne font rien de tout ça, et d’ailleurs, je ne sais pas ce que ça donnerait si des humains faisaient de pareilles acrobaties ! Tout le monde passerait à la flotte, c’est sûr !

Alors ils restent simplement assis comme des idiots en se tenant les mains, sans doute au cas où il y en aurait un qui tomberait à l’eau.

Et puis normalement, quand on est amoureux, on se fait des cadeaux : un mulot ou un rouge-gorge... eh bien croyez le ou non : c’est au troisième humain qu’ils font des cadeaux, à celui qui reste debout ! Enfin, quand je dis des cadeaux, je devrais plutôt dire qu’ils lui refilent des bouts de papier froissés qui ne sentent pas très bon. Mais ça ne fait rien : il a l’air content quand même, et il les garde tous dans une espèce de pochette pleine d’autres bouts de papier froissés et malodorants.

Après, il se met à chanter.

Peggy, c’est une chatte tigrée qui habite un peu plus loin, près du Jardin du Trône. Elle dit que c’est pour ça qu’on l’a appelée Peggy, mais bon, moi, je ne vois pas trop le rapport.

Dandolo raconte que c’est à cause de la dame aux chiens. J’ai bien l’impression que ce pauvre Dandolo n’a pas toute sa tête. Il prétend que l’humaine qu’on voit sur les images du musée, entourée d’une demi-douzaine de roquets, s’appelle Peggy. Pourquoi est ce qu’on lui aurait donné un nom de chat, si c’est pour la prendre en photo à côté de tout un tas de chiens ?

Bref, pour le moment, Peggy et Dandolo sont en train de rêvasser au soleil. Plus pour longtemps, parce que le soleil va bientôt se cacher derrière la maison d’à côté.

- Vous êtes tout seuls ? demandai-je.

Dandolo donne un coup de queue, ça veut dire oui.

- Pas d’autres chats ? Les fantômes ne sont pas encore sortis ?

Un autre coup de queue, ça veut dire non. Nous autres les chats, nous avons une gestuelle pleine de subtilité.

- Pas vu Bagheera ?

- Non, elle doit faire du baby sitting.

Bagheera est une chatte noire, non pardon, marron très foncé, qui habite au dessus d’une pizzeria.

Une pizzeria, c’est un endroit où des humains viennent manger des pizze. Ce n’est pas très bon, la pizza, mais les humains ont l’air d’aimer ça quand même, parce qu’ils sont assez nombreux à y aller.

Enfin quelquefois, c’est quand même un peu bon, quand on n’a rien d’autre à manger et quand il y a des crevettes ou des anchois dessus.

Et puis quand Bagheera est là, aussi.

Mais ce soir, Bagheera fait du baby sitting. Ça veut dire qu’elle reste avec de tout petits humains qui ne savent pas encore parler au cas où il y aurait un problème.

Mais il n’y a jamais de problème avec Bagheera. Heureusement, d’ailleurs, parce que je ne sais pas ce qu’il faudrait faire dans ce cas là. J’imagine qu’elle ne le sait pas non plus.

Peut-être miauler très fort pour appeler Graziella, la jeune fille qui vient lui donner un coup de main quand elle fait du baby sitting.

Je me nettoyais le bout des pattes en pensant à tout ça. Je me dis que ce serait peut être une bonne idée de m’allonger un moment au soleil moi aussi.

Je m’installe à une distance raisonnable de Dandolo, pas trop près de Peggy non plus. Nous sommes très chatouilleux sur les questions de voisinage, nous les chats.

Ça a un avantage : au moins on peut dormir. Enfin ! C’est tranquille, ici, et puis il n’y a pas un imbécile pour aboyer à côté.

Alors j’ai dormi.

Plutôt bien dormi, même, merci de me le demander.

Quand je me suis réveillé, c’était le soir, Dandolo était dans le Palazzo en train de bavarder avec des fantômes.

Celui qu’on appelle « Le Comte » est un grand bonhomme barbichu avec une veste rouge et jaune, et une espèce de drôle de pantalon collant un peu vert. Il a un chapeau avec une plume, ou peut être deux ; et une épée suspendue à son côté gauche. Je ne sais pas bien à quoi ça peut servir l’épée, parce que la seule fois où je lui ai posé la question, il a eu l’air très triste et il a répondu :

- Elle ne me sert à rien, à rien du t… tapis.

Il faut que je vous explique que les fantômes ont un petit défaut : ils n’arrivent pas à prononcer convenablement le dernier mot de la phrase qu’ils disent. C’est un autre mot qui sort à la place, qui commence pareil mais qui veut dire autre chose. C’est parfois difficile à comprendre.

Enfin, personne n’est parfait, à part certains chats.

- Mais pourquoi tu as ça, si ça ne sert à rien ? Tu dois bien t’en servir pour quelque chose, non ?

- Elle n’a même pas pu sauver ma v… veste.

Elle était très bien, sa veste. Ça devait être autre chose… sa valise ? Sa verveine ?

Trop compliqué. Et puis ça avait l’air de le rendre vraiment triste. J’ai laissé tomber.

Avec eux, il y avait celle qu’on appelle Roberta la Rascasse. Une grosse dame, haute comme la moitié du Comte et deux fois plus large. Quand elle est là, il flotte toujours dans la pièce une odeur de poisson qui nous plait bien, à nous les chats. Il parait qu’autrefois, elle en vendait, mais qu’elle s’est noyée un jour en courant après un voleur qui lui avait pris une sole, une saupe ou une sardine… On ne sait pas exactement, mais ce qui est certain, c’est que ça commençait par S et qu’il ne s’agissait pas d’une salade.

Même si c’est ce qu’elle a dit.

- C’est désolant, disait Roberta, le Palazzo est en train de tomber en r… roulette.

- C’est parce qu’on leur fait p… pitié.

- Vous voulez dire qu’il tombe en ruine parce que vous leur faites peur ? demanda Dandolo. Vous faites peur aux humains ?

- Oui, c’est ça. On leur fait p… poivre.

- C’est toi, Roberta, qui leur fais peur, avec ton tablier et ton odeur de p… potiron.

- Dis plutôt que c’est Monsieur Le Comte, avec sa mine d’âme en p… poche.

- Ils s’imaginent que nous sommes d… danseurs.

- Alors personne ne veut l’ach… achever.

- Et bien sûr, personne ne fait de t… tricots.

On les écoutait poliment, mais on n’y comprenait pas grand-chose. Sauf qu’il aurait fallu des tricots pour que le Palazzo ne tombe pas en roulette. Si ça devait arriver un jour, ça ne serait certainement pas bon pour nous les chats !

Un humain qui faisait des films, un américain pas très grand avec des lunettes, avait bien eu l’intention de l’acheter, quelque temps avant, mais il l’a visité deux ou trois fois et puis pffft, on ne l’a plus jamais revu. Dommage, il aurait surement pu faire des tricots, lui.

- Tiens, voilà notre nouveau c… caramel !

En effet, un nouveau fantôme venait d’arriver. Je reconnus Monsieur Barbieri.

- Hé ! S’écria-t-il en m’apercevant, mais c’est Wilson ! Quelle bonne s… sonnerie !

- Bonjour Monsieur Barbieri. Comment ça va ?

- Oh, p… pas très bien, m… mon pauvre Wilson. J… J’ai été a… assaisonné.

- Vous voulez dire assassiné ?

- Oui. Av… avec un p… poulet.

Ça pouvait être avec un poignard, un pistolet ou un presse-purée. Ça n’avait pas vraiment d’importance de toute façon. Moi, je préférais qu’il ait été assassiné, Monsieur Barbieri : au moins, maintenant on pouvait bavarder tous les deux, même s’il avait tendance à bégayer un peu, mais ça, il le faisait déjà quand il était vivant. Je remuai la queue, ce qui veut dire la même chose que de hocher la tête pour les humains, je crois.

Bon, je ne vous explique pas une deuxième fois ce que veut dire assassiné. Si vous ne savez toujours pas, c’est que vous ne faites pas attention à ce que je vous raconte, et alors je ne vois vraiment pas pourquoi vous lisez cette histoire.

Bref, je trouvais ça plutôt bien, qu’il ait été assassiné, Monsieur Barbieri : je l’aime bien, et maintenant qu’il était mort, on allait pouvoir discuter tous les deux !

C’est comme ça que j’ai appris pourquoi il y avait un chien chez lui.

Ça me paraissait bizarre qu’il habite dans la même maison qu’un chien. Il m’a dit que c’était celui de sa tante et qu’elle ne pouvait plus s’en occuper. Ça confirme ce que je pensais : la maison n’appartient pas au chien, et d’ailleurs, comme tous les chiens, il n’est même pas capable de se débrouiller tout seul.

Mais ça, je le savais.

Nous avons passé une bonne soirée tous ensembles, les chats et les fantômes. Le Comte nous racontait des choses auxquelles on ne comprenait rien, mais c’était drôlement agréable de discuter avec lui.

Ils ont demandé à Monsieur Barbieri comment il était arrivé là, et je crois bien que personne n’a vraiment compris sa réponse, en tout cas, pas moi.

Il a parlé d’une personne qui s’appelait la Mamma Fia (ou quelque chose comme ça) et d’une histoire de poubelles qui rapportaient de l’argent. Je me demande si c’est vraiment de poubelles qu’il voulait parler. Peut être qu’il n’y a pas que les derniers mots qui clochent dans les phrases de Monsieur Barbieri.

Les poubelles, ce sont des espèces de sacs dans lesquels on peut trouver des choses à manger. D’habitude, ce sont les chats défavorisés qui viennent s’y nourrir. Quand ça sent trop fort, il y a des humains qui viennent les chercher, sans doute pour les donner à des chiens, et puis d’autres humains en remettent des nouvelles. Comme ça, les chats malheureux ne meurent pas de faim. Les chiens non plus, mais la sensiblerie des humains avec ces créatures est vraiment exagérée !

Comment est ce que les poubelles pourraient fabriquer de l’argent ? Et puis d’ailleurs quel intérêt ? L’argent, ça sert à faire des colliers ou des bracelets : je le sais puisque Laura a un bracelet en argent. Ça n’a pas l’air de sentir comme les poubelles !

J’essayais de remettre en ordre les éléments sans queue ni tête que Monsieur Barbieri nous avait livrés : une dame qui s’appelait Mamma Fia voulait lui voler sa poubelle pour faire des bracelets en argent. Je suppose que Monsieur Barbieri a essayé de l’en empêcher pour que son crétin de chien ne meure pas de faim, en tout cas, c’était la seule explication que je pouvais imaginer.

Dans la soirée, quand il faisait nuit depuis un moment, Bagheera est arrivée : elle avait fini de faire du baby sitting.


Voilà pour les fantômes. Ils vont certainement avoir leur importance dans la suite de l'histoire. On a souvent prétendu que les chats avaient des relations privilégiées avec l'au delà; maintenant, grâce à Wilson, nous savons que c'est vrai !

vendredi 9 mai 2008

Peinture

Je ne sais pas pourquoi je ne m'en suis pas soucié plus tôt... j'ai l'occasion de créer un pont entre mes deux blogs, le littéraire et le pictural...

Il vous suffit de cliquer sur ce lien pour voir quelques peintures dans le style aborigène et quelques aquarelles:

http://jabalepeinture.blogspot.com/


Bonne visite, et quand vous en aurez assez, il y a un lien pour revenir...

vendredi 2 mai 2008

Juliette

Ça faisait un moment qu'on n'avait vu Juliette. Pour l'instant, pas de cannibales en vue : elle profite de la fin des grandes vacances.

Bon, la rentrée arrive, elle va pouvoir retrouver ses copines.

Chapitre trois

Trop courts, ces trois jours à Gruissan : entre la plage, le Zodiac de Papa et la pêche sur les rochers du port, il aurait fallu qu'on reste au moins trois semaines.

Trois mois, c’aurait été bien aussi.

Heureusement, l'école commençait le Jeudi qui suivait notre retour, et on n'a pas eu le temps de s'ennuyer à la maison, même si Mélanie et Marinette n'étaient pas là, et si Valérie ne pouvait pas sortir parce que sa maman voulait qu'elle travaille avant la rentrée.

C'est vraiment une manie de grandes personnes, ce truc là... Hé, ça sert à quoi, les vacances ? Est ce que la maman de Valérie emporte du courrier à trier quand elle va à Palavas passer une semaine ?

On dirait que les adultes n'ont qu'une envie, c'est de nous faire travailler le plus possible... c'est vrai que pendant ce temps là, on leur fiche la paix !

Enfin, le jeudi est arrivé... quand je dis enfin, j'exagère un peu : il a suffi d'une nuit après notre retour.

Maman a emmené Clément (Casse-pieds) à la maternelle, même si c'est juste en dessous de chez nous, et moi, je suis allée à mon école.

Mélanie était toute seule le long d'un mur, mais j'ai préféré aller vers le groupe où j'apercevais Valérie et Sonia.

Sonia n'est pas vraiment ma meilleure copine : elle est toujours trop sûre d'elle, et toujours à se moquer des vêtements des autres si ce n'est pas des marques.

Malgré ça, il faut bien avouer que Sonia a souvent des choses intéressantes à raconter ; et là, justement, elle était en train de dire que la maman d'un de nos camarades avait disparu deux jours avant la rentrée !

- La maman de qui ? j'ai demandé.

- Celle de Teddy, tu sais, celui qui a toujours des fripes du Secours Populaire.

Je voyais bien qui était Teddy, et Sonia n'avait vraiment pas besoin d'en rajouter sur ses vêtements. Facile, pour elle, avec sa salopette Chichi !

- Et il est là, Teddy ?

- Oui, me répondit Valérie, il est dans le bureau de la directrice, avec son père... mais je crois qu'il ne va pas rester dans cette école.

Teddy et ses parents vivaient dans une toute petite maison, dans une ruelle du vieux village. C'est vrai qu'on avait l'impression qu'ils ne roulaient pas sur l'or.

En classe, l'année d'avant, la place à côté de Teddy était libre : personne ne voulait être assis à cet endroit.

Je dois avouer que moi, je n'en avais pas très envie non plus : je trouve que Teddy pue !

Maman dit que ce n'est pas de sa faute... Bon, je veux bien, mais alors moi je dis que ce n'est pas de la mienne non plus ! Ça me semble être une raison suffisante pour ne pas avoir à supporter son parfum de putois écrasé, non ?

Mais quand même, ça me faisait drôle de penser que cette année, aucun d'entre nous ne serait assis à côté de Teddy. Même si c’était plus reposant pour nos narines, il allait nous manquer, Teddy, avec son air d’être tout le temps dans la lune et ses réponses à côté de la plaque quand le maître posait une question.

- Et il va partir où ?

- J'ai entendu dire qu'il avait de la famille à Marseille. Il va sûrement aller là bas.

- Et sa maman? On sait où elle est allée ?

- J'ai vu des gendarmes dans leur rue, dit Sonia, (qui a toujours tout vu) ils doivent la chercher.

- Et tu crois qu'ils la cherchent devant chez elle ? (C'est idiot, mais j'ai parfois du mal à m'empêcher de rembarrer Sonia !)

- Bien sûr que non! me répondit-elle d'un air pincé, ils étaient en train de chercher des indices, des trucs à faire renifler aux chiens ou quelque chose comme ça.

- Ils avaient des chiens ?

- Ben non, mais...

- Alors ils ont dû les renifler eux-mêmes, intervint Louis qui avait suivi toute la conversation, pas besoin de chiens !

Et il éclata de rire, imité par Mathieu Chêne et Kevin Bonniol, qui n'avaient rien suivi du tout, puisqu'ils venaient d'arriver, mais du moment que Louis riait, ça leur paraissait drôle.

Teddy n'est pas venu en classe ce matin là, ni les jours suivants. Il était bel et bien parti, à Marseille ou ailleurs, et on n'a plus eu de nouvelles.

Les gens du village ont parlé de la disparition pendant quelques jours. Chacun avait son avis : elle était partie à Toulouse dans une secte, à Frontignan avec des gitans, ou en Ardèche dans une communauté insectivore ! Toutes ces informations étaient annoncées comme des certitudes aussi incontestables que la somme de deux plus deux. Je ne vous dis pas combien ça fait, deux plus deux, je vous laisse chercher vous-mêmes.

Au bout de dix jours, on l'avait oubliée, comme on avait oublié Teddy. Louis et ses copains n'ont même pas dit un mot sur le savon de Marseille, pourtant…

Un Samedi, avec Valérie, on a décidé d'aller voir si Mélanie pouvait venir jouer avec nous. Armelle nous a dit que c'était trop dangereux de faire du vélo dans la campagne, mais qu'on pouvait venir jouer avec Mélanie et Marinette si on voulait.

Dangereux, les chemins autour du village ! C'était bien la première fois que j'entendais un truc pareil, mais on est quand même allées jouer avec Méla et Nénette, comme elles s'appellent entre elles.

Dans la chambre de Mélanie, je lui ai demandé :

- Dis donc, elle est drôlement inquiète, ta maman! Elle ne vous laisse jamais sortir ?

- Pas tellement, ici... elle dit qu'à Rivebonne, ça allait, mais qu'ici, il y a trop de voitures ; et puis la maman de Teddy, c'est bizarre, comme elle a disparu.

- Elle pense qu'elle a été enlevée ?

- Je ne sais pas... nous, on ne la connaissait pas. Curieux, la façon qu'elle a eu de dire ça ! On aurait dit qu'elle avait l'air gênée. Je suis sûre que Valérie n'a rien remarqué... pas la peine que je lui en reparle.

On n'a plus trop eu le temps de penser à tout ça pendant le reste de l'après-midi : Mélanie et Marinette avaient des jeux super. J'ai bien aimé la poule sous laquelle il fallait passer sans la toucher, sinon elle se mettait à chanter comme une débile. On passait dessous à genoux, à quatre pattes, accroupies, et de toutes les façons possibles selon ce que les dés nous disaient de faire.

J'aurais bien demandé ça pour Noël, mais j'étais sûre que Maman me trouverait trop grande pour ce jeu de bébé... à moins de leur dire de l'offrir à Clément.

A cinq heures, on a eu des jus de fruits, mais ils étaient trop froids, cette fois... je préférais ceux de l'autre jour ! J’ai mis le mien sur un radiateur en espérant qu’il se réchaufferait, mais comme le chauffage était arrêté, ça n’a pas très bien marché.

Pendant ce temps, les parents de Méla et Nénette ont pris le thé avec Madame Joyeux, une dame qui habite au village, mais qui travaille à Montpellier. Ils parlaient de trucs indiens. Pas les indiens avec des plumes qu’on voit dans les westerns : les indiens d’Inde, le genre de barbus en slip qui s’assoient en tailleur sur des planches à clous et qui jouent de la flûte pour faire danser des serpents.

Ça avait l’air de tous les passionner !

Madame Joyeux, c'est la tante d'un garçon qui est au C.E.l, mais je ne sais plus comment il s'appelle. Ça n'a pas vraiment d'importance, c'est un petit.

Cette pauvre Madame Joyeux, je ne sais pas si elle était mariée à un nain qui s'est sauvé avec Blanche Neige, mais elle a l'air tout ce qu'on veut, sauf joyeuse, même quand elle dit qu’elle s’amuse !

Autant Armelle a l'air rigolote, autant Madame Joyeux semble toujours prête à fondre en larmes. En plus, elle est toujours habillée pareil, avec un vieux jean râpé et un gros pull sans couleur.

Maman dit qu'elle doit boire, ou se droguer... je crois qu'elle me fait un peu peur, mais surtout de la peine, enfin je ne sais pas trop.

Monsieur Charumain (son prénom, c'est Gérard, mais comme c'est un maître, je l'appelle Monsieur Charumain­), c'est quelqu'un qui a toujours l'air sérieux, mais qui dit plein de choses pour faire rire les gens. Maman appelle ça un « pince sans rire ».

Il parait qu'en classe, il est pareil : ses élèves l'aiment bien, même si ça ne fait que quelques jours qu’ils l’ont comme maître.

Monsieur Lapatte, il est moins drôle... c'est le moins qu'on puisse dire !


On connait tous des "Monsieur Lapatte". Un brave homme au demeurant, mais sans doute pas bien rigolo pour les élèves...
http://www.lulu.com/content/2281715

jeanlouis.jabale@club-internet.fr

vendredi 11 avril 2008

Supergatto di Venezia (Suite)

La suite de Supergatto. Pour ceux qui ont lu les deux premiers chapitres, je vous rappelle que nous avons laissé Wilson retourner à sa sieste avec le sentiment du devoir accompli.
Pour un chat, c'est une notion très abstraite...
Il a découvert un de ses voisins inanimé derrière la porte de son jardin. Pas de quoi fouetter un chien. Ça ne va pas bouleverser sa vie de chat, et peut être même que ce sera mieux qu'avant...


Tre

À peine eu le temps de m’endormir ! Encore un raffut de tous les diables. Ma parole, c’est la Saint Mistigri pour les humains et les chiens, ou quoi ?

Pas longue, ma sieste, aujourd’hui ! Tout le monde s’est passé le mot pour m’empêcher de dormir !

Bon, je n’entends plus le chien de Monsieur Barbieri, quelqu’un a sans doute réussi à le faire taire. Par contre, il y a plein de monde dans le jardin d’à côté : des humains.

Je jette un coup d’œil. Sacrée fête, dis donc ! Plein plein d’humains ! Il y en a plusieurs qui sont habillés pareil, certains parlent dans des espèces de téléphones, ça prend des photos, ils mesurent le jardin… sans doute pour voir s’ils peuvent inviter d’autres copains. Ils n’ont vraiment pas le compas dans l’œil : moi, d’ici, je vois bien qu’ils pourraient être trois fois plus nombreux, au moins.

Mais pas question de leur dire ; ils font bien assez de bruit comme ça !

Au bout de quelque temps, je les vois emporter Monsieur Barbieri. Ils l’ont mis sur une sorte de civière avec une couverture qui le recouvre entièrement pour qu’il n’attrape pas froid. Gentil de leur part, mais ça ne sert pas à grand-chose à mon avis.

Je suppose que c’est pour faire davantage de place qu’ils l’emmènent.

Ils vont faire la fête dans la maison aussi ? Ça va faire du monde, dis donc. C’est pour ça qu’ils étaient en train de téléphoner tout à l’heure ? Pour inviter d’autres humains ? Sacré raffut en perspective !

Je ferais aussi bien d’aller faire un petit tour, ça va être agité par ici. J’essaie de penser à un endroit sympa pour aller me promener, et moi, quand je réfléchis, je fais un brin de toilette... enfin bon, vous savez, je vous l’ai déjà dit.

Le jardin du trône ? Non, trop tôt, c’est encore plein d’humains qui me dérangeraient. Santa Maria della Salute ? Mouais, à la rigueur. Ou alors le Palazzo Dario, tiens. Les fantômes doivent y être en ce moment, tant mieux : on rigole bien avec eux.

Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : il y a quelques fantômes au Palazzo Dario. C’est même pour ça que les humains, les vivants, je veux dire, ne veulent pas y habiter.

Pourtant, c’est gentil, les fantômes ! Ce sont des humains, enfin comme des humains, mais en plus rigolo. Leur seul problème, c’est qu’ils ne nous donnent pas à manger, mais ce n’est pas de la mauvaise volonté de leur part : ils ne peuvent rien attraper.

Bon, je vais faire un tour au Dario... il y aura peut être aussi quelques copains à moi, des copains chats, je veux dire.

J’arrive à peine en bas de l’escalier que Laura me voit et se plante devant moi. Je me pose sur mon derrière pour lui laisser le temps de me raconter ses petits malheurs.

- Te voilà, Wilson ! Tu as encore dormi tout l’après midi, hein ?

J’essaie de lui protester, de lui envoyer des pensées pour lui expliquer, « Non, je n’ai pas dormi, non, je n’ai pas dormi, j’étais à côté à cause du chien... », mais elle m’attrape en dessous des pattes antérieures et me soulève du sol.

Je déteste quand elle fait ça ! Elle me prend pour sa poupée ou quoi ? Elle n’a plus huit ans, quand même ! Elle en a au moins le double, ça doit faire treize ou quatorze. C’est vrai que pour les humains, treize ou quatorze ans, ce n’est pas grand-chose : à peine comme neuf ou dix mois pour un chat. Les humains ont un développement très très lent !

D’habitude, elle est plutôt gentille avec moi, Laura, mais je n’arrive pas à lui faire comprendre que je n’aime pas qu’elle m’attrape comme ça.

Moi, quand on me soulève par-dessous les pattes, j’ai l’impression de perdre le contrôle de la situation, sans compter que ça peut me faire mal.

Elle a l’air de s’en moquer complètement ! Elle me regarde droit dans les yeux (ça aussi, je déteste !) et elle me raconte des histoires sans queue ni tête à propos de choses qu’elle n’a même pas vues !

- Tu te rends compte, Wilson ? Notre voisin, Monsieur Barbieri, il a été assassiné ! Enfin, je ne sais pas pourquoi je te raconte ça, tu ne peux pas comprendre !

Elle me prend pour un crétin ou quoi ? Bien sur que je sais ce que ça veut dire, assassiné ! Assassiner, c’est quand on tue quelque chose pour ne même pas le manger ni s’amuser avec ! Moi, par exemple, je n’assassine jamais les mulots ni les oiseaux, puisque je les mange toujours, enfin au moins un petit peu.

Même les lézards, qui ne sont vraiment pas bons à manger, on ne peut pas dire que je les assassine, puisque je joue un moment avec eux juste avant leur dernier soupir.

Je ne suis pas un assassin, moi !

- Ce pauvre Monsieur Barbieri ! Il était si gentil ! Il a même ouvert la porte à son chien Sultan avant de mourir, pour qu’il ne reste pas enfermé ! C’est le chien qui a donné l’alerte.

- Tu parles ! C’est moi qui lui ai ouvert la porte, à cette andouille de chien ! Il braillait à l’intérieur de la maison comme un demeuré !

Sultan ! Non mais quel nom idiot pour un chien ! Enfin ça lui va très bien : il doit avoir la cervelle comme un raisin sec !

- Tu te rends compte de l’attachement de ce pauvre chien pour son pauvre maître ?

(Ça y est, pensai-je, nous voilà chez les pauvres, ici dans le Dorsoduro : pauvre Monsieur Barbieri, pauvre chien… pauvre de moi, oui !)

- Et toi Wilson, continuait Laura, qu’est ce que tu ferais si tu nous trouvais tous assassinés ?

- Laisse-moi réfléchir. Ma toilette peut être ?

- Et puis ce pauvre chien, qu’est ce qu’il va devenir, maintenant qu’il n’a plus de maître ?

- Il pourrait quitter le quartier...

- Madame D'Annunzio l’a emmené chez elle, mais elle habite sur le Lido. Je ne sais pas si elle pourra le garder ; et puis je me demande s’il sera heureux, là bas.

- Plus heureux qu’ici, sans le moindre doute ! Et nous aussi par la même occasion quand il sera loin !

Je commençais à avoir sérieusement mal aux flancs et aux pattes. Je me débattis un peu pour me dégager.

- Oh, Wilson ! Vilain chat ! Tu m’as griffée ! Fais donc un peu attention !

- Oups, pardon... pas fait exprès !

J’étais plutôt content de retrouver le sol. Enfin quelque chose de concret pour avancer ! Je m’élance à toute vitesse vers la porte et en deux bonds, me voilà dehors. J’entends encore Laura qui me crie :

- Tu peux bien te sauver, tiens, c’est très vilain, ce que tu m’as fait.

Et alors ? Je ne l’ai pas fait exprès... Il faut lui dire ou lui chanter en latin ?

C’est que je m’étais fixé un programme, moi ! Le Palazzo Dario n’est pas bien loin, mais j’avais décidé d’y aller il y a déjà un moment, et si j’attends trop avant de mettre mes projets à exécution, j’ai tendance à les oublier. Après, je suis bien embêté et je réfléchis comme un fou pour essayer de me souvenir de ce à quoi j’étais en train de penser.

Enfin comme ça, au moins, je suis toujours propre.


Ah, oui, j'oubliais : pour ceux qui ne connaissent pas Venise, ce que Wilson appelle le "Jardin du Trône", c'est le jardin du musée Guggenheim.


Bien sûr, l'humaine entourée de ses chiens, c'est Peggy (Je parle de Peggy Guggenheim, bien sûr. Il y aura une autre Peggy un peu plus tard dans l'histoire, mais elle a quatre pattes et des moustaches.).

Pour le Palazzo Dario et le Piazzelo Barbaro, je vous mets une aquarelle. Comme ça, vous verrez où habite Wilson...


jeanlouis.jabale@club-internet.fr

vendredi 4 avril 2008

Pour les amis des cannibales...


Vous trouverez plus bas (dans d'anciens messages) quelques tranches de deux autres ouvrages. Il n'y avait pas de raison pour que je ne mette pas sur le blog de petits morceaux (enfin des gros) de "Juliette et les cannibales". Là aussi, je vous mets les deux premiers chapitres, puis plus tard, je vous livrerai sans doute des extraits choisis.

http://www.lulu.com/content/2281715



Chapitre un

Quand on a dix ans, comme moi, et qu'on habite un appartement au dessus d'une école maternelle, on passe beaucoup de temps avec les copines au jardin public. S'il pleut, les parents ne veulent pas qu'on sorte pour aller «traîner dans les rues» comme dit Maman. Alors on reste, comme moi à ce moment là, derrière une fenêtre, à guetter l'éclaircie qui me délivrera !

La première fois que j'ai vu nos nouveaux voisins, c'était à travers la vitre de ma chambre. Je ne voyais pas très bien leurs visages, à cause des gouttes d'eau qui venaient s'écraser sur le carreau, mais je pouvais me faire une assez bonne idée de leurs silhouettes.

Lui, grand, plutôt maigre, avec des lunettes qu'il a fini par enlever, parce que, trempées comme elles étaient, elles le gênaient plus qu'autre chose. Elle était beaucoup plus petite, très brune, avec les cheveux tout courts, un peu comme une chanteuse - je ne sais plus son nom - que mes parents aiment bien.

Ils avaient deux enfants, deux filles, dont la plus grande devait avoir à peu près mon âge. L'autre semblait avoir cinq ou six ans.

Super : Deux nouvelles copines !

La secrétaire de mairie les attendait dans le logement qu'ils allaient occuper, à côté du nôtre, et je les ai vus disparaître à l'intérieur tous les quatre. Juste à temps : la pluie redoublait de violence. Je n’aurais pas cru que c’était possible. C’était déjà un vrai déluge avant, mais alors là, c’était carrément de la plongée sous-marine !

- Maman, j'ai vu les nouveaux voisins !

- Qui ça ?

- Les voisins qu'on va avoir. Le nouveau maître des C.E, je crois. Ils ont deux filles, et la plus grande va sûrement être dans la même classe que moi !

- C'est super pour toi, ça va te faire de nouvelles copines !

(Tiens ! c'est exactement ce que je me suis dit tout à l'heure ! Comment Maman a-t-elle pu deviner ?)

- Je peux aller les voir ?

- Tu as vu le temps qu’il fait ? (Ah oui, c’est vrai... j’avais déjà oublié !) Et puis peut-être qu'ils ont envie d'avoir quelques minutes de tranquillité pour découvrir leur nouvelle maison, tu ne crois pas? Et en plus il me semble bien que tu n'as pas fait de maths aujourd'hui ; si tu ne veux pas être coulée à la rentrée, tu devrais travailler un peu plus.

Quelle rabat-joie ! Coulée, elle en a de bonnes ! Si la pluie continue comme ça, c’est toute l’école qui sera coulée, tout sera sous les eaux et je n’aurai plus qu’à passer le brevet de maître nageur, ou de maîtresse nageuse : ce sera le seul métier possible : le monde entier sera inondé.

La mort dans l'âme, je suis quand même allée faire mon problème de maths quotidien : un truc stupide avec deux trains qui partent à des heures où personne n'est levé, et dont le second, sans qu'on sache pourquoi, roule beaucoup plus vite que le premier. Bien sûr, dans ce genre de problème, il faut toujours trouver à quelle heure ils se rejoignent.

D’abord, les trains, quand il pleut aussi fort, je suis bien certaine qu’ils ne roulent pas !

Débile, ce problème : si j'avais le choix entre un train qui part à sept heures et arrive à dix, et un autre qui part à six heures du matin pour n'arriver qu'à midi, je prendrais celui qui me permet de dormir une heure de plus ! Papa dirait certainement que pour le train de sept heures, il y a un supplément... mais dans l'énoncé, on n'en parle pas. Pas plus que du prix du billet, d'ailleurs... ça ne doit pas être important.

Une demi-heure plus tard, j'ai réussi à faire entrer mes deux trains en collision : soixante morts et deux cent quatre vingt blessés ! Supplément ou pas supplément, ils ont tous déraillé pareil !

Oh puis non, pas de morts : juste quelques blessés légers. Je disais ça parce que j'étais en colère après ces idiots de trains, mais les gens qui étaient dedans n'y étaient pour rien !

Quand j'ai regardé à nouveau par la fenêtre, il ne pleuvait plus. Mais les nouveaux voisins étaient partis. La rue était vide, et la porte de leur maison à nouveau fermée.

Et s'il y avait eu quelques morts dans ces fichus trains, après tout ?

Le lendemain, le soleil était revenu pour de bon, et après le repas de midi, j'ai pu aller faire du vélo avec Valérie, la fille de la postière. Nous partons souvent sur de petites routes où on ne rencontre que deux ou trois tracteurs, et encore, les jours d'affluence.

Ce jour là, Valérie n'arrivait pas à me faire sortir du village : elle pouvait m'entraîner sur n'importe quelle route, je m'arrangeais toujours pour passer devant elle et pour la faire revenir dans ma rue. A la fin, elle a eu l'air d'en avoir assez de tourner en rond dans le village, et elle m'a dit qu'elle allait jusqu'au bois de Saint Antoine, et que si je n'avais pas envie de venir, je pouvais rester là, à faire cent mille fois le tour du Griffe.

Le Griffe, c'est la fontaine du village.

- J'ai pas du tout envie de faire le tour du Griffe, ai-je répondu, ni cent mille fois ni une seule ! D'abord, ce truc, il est moche, il est tout gris, et je ne l'aime pas!

- Alors viens! On va à Saint Antoine toutes les deux !

- C'est que j'aimerais mieux... je préférerais ne pas trop m'éloigner de chez moi.

- Tu as peur de te perdre ? De ne plus savoir rentrer à la maison ?

Je n'ai pas répondu. Je n'ai même pas haussé les épaules : j'ai juste démarré en appuyant de toutes mes forces sur les pédales, et j'ai roulé aussi vite que je pouvais vers le bois de Saint Antoine.

- Eh ! Juliette, attends-moi ! Tu veux me semer, ou quoi ?

Derrière moi, Valérie s'essoufflait à me suivre, tout en me criant d'aller moins vite. Moi, je continuais à pédaler comme une folle, et quand je suis arrivée à la pinède, j'étais bien certaine de n'avoir jamais mis aussi peu de temps pour parcourir ces trois kilomètres.

Je me suis retournée pour voir où était Valérie : elle peinait comme une malheureuse dans le dernier tiers de la petite montée qui mène aux arbres.

Elle était toute rouge comme une tomate mariée à une écrevisse en mettant pied à terre, elle soufflait comme un bœuf et elle n'a pas pu dire un seul mot pendant une bonne minute.

- Eh bien, lui ai-je dit, c'est si fatigant que ça, d'aller à Saint Antoine ? Tu devrais t'entraîner un peu autour du Griffe !

Je n'ai pas bien compris ce qu'elle m'a répondu entre ses dents, mais je crois que ça vaut mieux !

Nous nous sommes assises cinq minutes sans rien dire. Au bout d'un moment, j'ai regardé Valérie, et j'ai vu qu'elle avait l'air très triste. J'avais l'impression que ses yeux étaient humides.

Je lui ai demandé pardon, je lui ai dit que je ne pensais pas ce que je lui avais dit, et que de toutes façons, c'était plus facile pour moi parce que j'avais un vélo à six vitesses et que c'était moins fatigant dans les montées.

Nous sommes reparties toutes les deux ensemble, et cette fois, je n'ai pas cherché à la distancer. A un moment, elle m'a dit :

- Tu sais, Juliette, c'est de ma faute, tout ça, c'est moi qui ai commencé, avec cette histoire de fontaine.

- Non, c'est de ma faute à moi... C'est moi qui voulais rester près de chez moi. En fait, je voulais voir si mes nouveaux voisins reviendraient aujourd'hui. Tu sais, ils ont deux filles, et la plus grande doit avoir à peu près notre âge.

- Tu aurais pu me le dire, non ? Moi aussi, j'aime bien rencontrer de nouvelles têtes.

- C'est que je me disais que tu croirais... enfin, je croyais que tu penserais...

- Oh, ça va ! Allez, on n'en parle plus, c'est fini. Et puis regarde, là bas, à côté de chez toi : on dirait qu'il y a du nouveau !

Derrière la voiture de Maman, un gros fourgon de location était garé, avec les portes arrière ouvertes, et un peu plus loin, la voiture des voisins. Ils étaient en train d'emménager.

- Tu viens, me dit Valérie, on va faire connaissance avec tes nouveaux voisins !

Elle n'a pas eu besoin de me le dire deux fois !



Chapitre deux

La plus grande des filles de Monsieur Charumain (quel drôle de nom !) avait dix ans, juste comme Valérie et moi. Elle s'appelait Mélanie. Mélanie Charumain. Elle allait entrer au C.M.2 au mois de Septembre (c'est-à-dire dans douze jours) dans la classe de Monsieur Lapatte.

Tout comme moi, quoi !

Sa petite sœur, c'était Marinette. Elle avait cinq ans et demi, presque six, et elle serait dans la classe de Madame Husse, qui lui apprendrait à lire, à écrire, à compter, et toutes ces choses qu'on fait à l'école et qui nous empêchent de mourir idiots, comme dit mon papa. Je ne comprends pas bien quel intérêt il peut y avoir à ne pas mourir idiot, d’ailleurs. Quand on est mort, j’imagine qu’on s’en fiche d’être idiot ou n’importe quoi d’autre. C’est quand on est vivant qu’il vaut mieux avoir un petit quelque chose dans le crâne !

Mélanie était très grande pour ses dix ans : elle me dépassait de cinq ou dix centimètres et je ne suis pas petite. Je suppose que Marinette était grande aussi, mais je n'en suis pas très sûre : il aurait fallu que je la voie à côté de Clément pour me rendre compte. Clément, c'est mon petit frère, il a cinq ans et il est casse-pieds ! Est-ce que Marinette était casse-pieds elle aussi ?

Toutes les deux, elles ressemblaient à leur père : il était très grand et tout maigre comme quelqu'un qui n'aurait rien mangé depuis deux jours, ou six mois, je ne sais pas... enfin, depuis très longtemps, en tout cas.

Je me disais qu'en fait, il devait sûrement manger un peu, mais peut-être pas assez. Par contre, je suis sûre que Maman se trompe quand elle dit qu’il faut manger pour grandir. En tout cas, pas pour grandir en hauteur. D’ailleurs, elle a un peu tendance à grandir en largeur, Maman, surtout quand on la voit de dos !

Madame Charumain, la maman de Mélanie et Marinette, ne ressemblait pas du tout à son mari ni à ses filles : elle était petite, avec le visage tout rond, et on avait toujours l'impression qu'elle allait éclater de rire. Elle s'appelait Armelle, et elle avait l'air vraiment gentille.

Leur appartement c'était tout le contraire du nôtre : je veux dire que la cuisine était à droite au lieu d'être à gauche, le salon à gauche au lieu d'être à droite, et tout comme ça... Monsieur Charumain m'a dit que nos appartements étaient symétriques. Ça m'a fait penser à des exercices de maths qui m’avaient cassé les pieds les années d’avant, et ça ne m'a pas plu du tout !

Quand même, je trouvais ça amusant d'avoir l'impression d'être chez moi, avec des meubles différents, et tout à l'envers, je veux dire comme dans un miroir. Il faudra simplement que je fasse attention à ne pas me cogner dans les murs quand je serai chez eux.

Lorsque nous sommes arrivées, Valérie et moi, Monsieur Charumain se faisait aider par le garde pour sortir son frigo du fourgon.

Je crois bien que je n'avais jamais vu un frigo aussi énorme : c'était une sorte de bahut deux fois plus haut que moi, avec une porte de chaque côté, et même une autre plus petite dans le bas.

A la maison, nous avons un frigo qui est beaucoup moins gros. Papa n’aime pas que je dise le frigo… Il parait qu’il faut dire le réfrigérateur.

Dès qu'ils ont eu installé le réfrigolateur (na !) dans la cuisine, ils l'ont branché pour pouvoir y ranger le contenu de deux grosses glacières qu'ils avaient apportées.

- Tu comprends, m'a dit Mélanie, on n'allait pas manger tout ça avant de déménager, et puis le laisser décongeler, c’aurait été trop de gaspillage.

- Ça fait congélateur aussi ?

- Oui : ça s’appelle un frigo américain.

(Ah, tiens, je savais bien qu’on pouvait appeler ça un frigo ! Américain ou pas.)

- Mais vous pouviez le recongeler, après, a dit Valérie

- Maman dit qu'il ne faut surtout pas recongeler quelque chose qui a été décongelé : on peut avoir des maladies terribles !

- Ah bon ? Pourquoi ? ai-je demandé.

- J'en sais rien ! C'est comme ça. Si Maman le dit, elle doit avoir raison.

- Tu crois que les grands ont toujours raison, demanda Valérie ?

- Ben... oui. Eux, ils savent plus de choses que nous.

- Mais peut-être qu'ils savent trop de choses, et que tout ça s'embrouille dans leurs têtes.

Je ne comprenais pas trop ce que Valérie voulait dire. Mélanie non plus sans doute, car elle a fait une drôle de mimique, comme pour dire « Je ne sais pas… c'est peut-être toi qui as raison ! »

Mais elle n'avait pas l'air tout à fait convaincue : je me suis dit qu'elle devait être du genre à croire tout ce que disent les grands.

À un moment, Armelle (Madame Charumain) nous a offert des jus de fruits. Ils n'étaient pas très froids, et elle s'en est excusée. Moi, ça ne me dérangeait pas, au contraire : je préfère quand ce n'est pas trop glacé.

J’ai appris qu’avant d’être nos voisins, les Charumain avaient habité dans un tout petit village, perché au dessus de Lodève.

Quand Armelle nous a dit le nom, Rivebonne, il m’a semblé que ça me disait quelque chose : On y était sûrement déjà passés, avec mes parents et Clément, pour aller voir des gens que Papa connaissait et qui habitaient au milieu de rien, comme dirait Maman.

A Rivebonne, Monsieur Charumain était le seul maître de toute l’école, et il n’avait dans sa classe que douze enfants, et même seulement onze à la fin de l’année. Ça me faisait drôle d’entendre ça : dans ma classe de l’année d’avant, il y avait vingt-huit enfants, et juste dans ma classe ! Dans toute l’école, on devait être au moins cent ou deux cents, je ne sais pas exactement.

C’était bien, on ne s’ennuyait pas ! Alors qu’une école où il n’y aurait que dix autres enfants, quelle barbe !

Bien sûr, Mélanie n’était pas de mon avis !

Je la trouvais bizarre, pas désagréable, mais quand même bizarre : elle avait de drôles d’idées, sur les grandes personnes, sur les écoles où on n’est que douze, et sur les frigos américains.

Armelle était plutôt d’accord avec moi. Enfin, ce qu’elle disait, c’est qu’elle préférait un village avec un peu plus de choses à se mettre sous la dent, c’est une drôle d’expression. Il paraît qu’à Rivebonne, ils n’avaient que peu de chances de rencontrer de nouvelles personnes, et qu’ils avaient épuisé toutes les potentialités du village, ou quelque chose comme ça. Je ne sais pas très bien ce que ça pouvait vouloir dire, mais ça me semblait clair qu'elle préférait habiter ici qu'à Rivebonne.

Vers cinq heures, Monsieur Charumain nous a demandé si nos mamans, à Valérie et à moi, n'allaient pas s'inquiéter de ne pas nous voir rentrer.

C'est vrai que Maman n'aime pas trop que je traîne dans les rues, (Je l'ai déjà dit) mais je n'étais pas dans les rues : j'étais chez les nouveaux voisins...

Comme je n'avais pas envie de me lancer dans des explications sans fin sur la différence entre les deux, j'ai répondu que oui, il était sans doute temps de rentrer.

J'ai raccompagné Valérie jusqu'à chez elle, puis je suis revenue chez moi en passant par la rue des robiniers : je voulais arriver en passant devant chez les Charumain.

Le fourgon était toujours là, mais on ne voyait personne... Je suis rentrée à la maison, et j'ai posé mon vélo en bas de l'escalier.

En haut Maman était en train de préparer nos sacs. On devait partir le lendemain à Gruissan, pour passer les derniers jours de vacances dans le chalet de mes grands parents.

Ils n'y vont presque jamais : ils habitent en république Tchèque pour le travail de Papy, alors c'est nous qui y sommes le plus souvent.

Vous connaissez les chalets de Gruissan ? Moi, une fois, je les ai même aperçus dans un film qui passait à la télé, mais Maman n'a pas voulu que je regarde : elle disait que ce n'était pas pour moi, que j'étais trop petite, et tous ces trucs que les grands nous rabâchent quand ils veulent nous expédier au lit.

Zut, à la fin ! Je les ai vus en vrai, les chalets de Gruissan, alors je peux bien les voir en film à la télé, non ?

Après tout, je m'en fiche, de ça. Tout ce qui comptait, c'est que j'allais passer trois jours à Gruissan avec Papa, Maman, et Clément Casse-Pieds. Les chalets en vrai, la mer en couleurs, et plein de sable qui colle aux pieds et qu’on doit absolument enlever avant de monter.

Oui, monter, parce que les chalets, ils sont construits sur pilotis, c’est des espèces de poteaux plus hauts que Papa avec moi sur ses épaules. Comme ça, si la mer monte trop haut, on a toujours les pieds au sec. Enfin, c’est quand même un peu idiot. Déjà parce que ça n’est jamais arrivé, en tout cas pas pendant que j’y étais, et puis parce que si ça arrivait, on ne pourrait plus sortir et après on aurait l’air malins avec la voiture pleine d’eau !

Mais d’abord, passer chez Angèle, la voisine, pour lui porter des boites pour nos chats : c’est elle qui leur donne à manger quand on s’en va.

Nous avons deux chats. Il y en a un, tigré, qui s’appelle Soully, parce que quand il était petit, il passait tout son temps à se cacher sous les lits. Alors quand on cherchait le chat, on pouvait être certain qu’il était sous le lit, Soully.

Bien sur, il nous en a rapidement fallu un autre pour pouvoir l’appeler Henry Cat.

Un gros matou roux et blanc qui adore la volaille.

En fait, tous les deux, ils aiment tout ce qui se mange.


Voilà donc les deux premiers chapitres, la suite viendra plus tard...

Cette histoire là est prévue pour être illustrée, d'ailleurs elle l'est dans sa version imprimée ou e-book. Je ne mets pas les images sur ce blog, mais vous pourrez éventuellement les retrouver dans le livre.

J'ai écrit ce "Juliette et les cannibales" il y a déjà pas mal de temps, mais très peu de gens l'avaient lu...


http://www.lulu.com/content/2281715

jeanlouis.jabale@club-internet.fr

Un extrait du dernier ouvrage, en travaux pour l'instant

Pour les curieux et les curieuses, une exclusivité : un petit bout de ma prochaine histoire. Le titre pressenti est Supergatto di Venezia, mais rien n'est figé.
En gros, il y est question d'un chat égocentrique qui se retrouve au cœur d'une enquête policière dont il se contrefiche complètement d'ailleurs. Seules ses histoires de félin l'intéressent !
Le lecteur aura une vue plus globale de l'intrigue, relevée des réflexions critiques d'un chat qui est persuadé que le monde n'existe que pour lui et ses congénères.

Uno

Qu’il est pénible, ce chien !

Complètement stupide ! Ça fait une heure, non, deux au moins, que j’essaie de dormir et que les hurlements de ce balourd m’empêchent de fermer l’œil.

Ou alors trois heures. Je ne sais pas exactement, puisque je n’ai pas de montre. Enfin très longtemps, ça, c’est sûr !

D’ailleurs, si j’en avais une, de montre, je me demande bien comment je ferais pour la porter ; mes poignets sont bien trop fins pour ça ! Je suis un chat.

Mon nom, c’est Wilson. J’habite dans un endroit qui s’appelle Dorsoduro. Ma maison est au bord d’un canal, avec une petite rue sur un des côtés. Comme j’ai pas mal de place, je permets à des humains d’y habiter aussi. En échange, ils m’apportent à manger.

Mes humains, c’est la famille Murphy. Il y a le père, qui n’est pas souvent là, peut être parce qu’il est irlandais, la mère qui s’appelle Paola, et leur fille Laura.

Pas loin de chez moi, il y a une grosse bâtisse en pierre grise où je vais parfois quand j’ai envie d’enquiquiner quelques rongeurs pour me distraire. Ça s’appelle Santa Maria della Salute, et la plupart du temps, c’est fermé aux humains, heureusement ! Bien sur, nous, les chats, nous avons le droit d’y entrer quand nous voulons. On y trouve les plus beaux mulots du monde.

Par contre, quand les humains ont la permission d’y aller, pour une raison que je ne comprends pas bien, ils font un bruit de tous les diables dans la grande salle. Ils chantent, ils jouent de la musique sur un instrument plein de tuyaux, ça résonne partout, et là, tu peux toujours t’accrocher pour trouver quoi que ce soit à chasser. Le désert complet, que c’est !

Mais bon, la chasse au mulot, c’est juste pour m’amuser. Les humains qui habitent chez moi payent leur dû sans rechigner, et ça pourrait suffire largement à me nourrir.

Si par hasard ils mettent un peu trop de temps à me donner mon déjeuner, ou alors mon dîner, ou un de mes en-cas, je n’ai qu’à m’asseoir juste devant l’armoire blanche où ils rangent ma nourriture. Là, j’attends que quelqu’un passe, je me concentre, et j’envoie des pensées : « Il faut nourrir le chat ! Il faut nourrir le chat ! »

Ça marche à tous les coups : l’humain répète « Oh ! Il faut nourrir le chat ! » pour bien me montrer que le message est passé, puis le frigo (c’est l’armoire blanche) s’ouvre et je reçois à manger.

J’ai des copains, dehors, qui croient que les humains ne peuvent pas recevoir de messages par la pensée. Moi, je suis bien certain que si ! Enfin, les miens, en tout cas, ils peuvent, surtout Paola et Laura.

Quand il y a trop de tintouin à « la Salute », je vais faire un tour dans des jardins, pas très loin. Il y a deux grandes maisons occupées seulement par des chats, chacune d’un côté d’un petit canal. L’une s’appelle Palazzo Dario et l’autre... je crois qu’elle ne s’appelle pas.

Ça ne fait rien, les jardins sont agréables et il y a de quoi s’amuser... enfin pour un chat. En plus, ça fait des années qu’il y a tout un enchevêtrement de poutres et de planches entre les deux maisons : un vrai paradis !

Tout près, il y a aussi un pont, que nous appelons le Pont Tordu, et puis une petite place qui s’appelle Piazello Barbaro. C’est là que j’habite.

Le seul problème, c’est ce canal : il faut faire attention, sinon, on se mouille ! Il n’est pas très large, mais quand même un peu trop pour pouvoir sauter d’un côté à l’autre !

Moi, ce que je préfère, c’est le jardin du Palazzo Dario : c’est tranquille. Pourtant, il m’arrive (pas très souvent, c’est vrai) de longer un échafaudage pour aller voir de l’autre côté, mais là, c’est beaucoup moins calme !

Non, je ne devrais pas le dire comme ça : en réalité, c’est un endroit complètement affolant, affolé ! De l’agitation, du bruit, des cris et des gens qui courent comme des dératés. Et ils ne font pas que courir : il y en a surtout qui filent en tous sens sur des barques, des bateaux, des gondoles et des vaporetti. Quel plaisir peuvent-ils avoir à monter sur ces engins là, je vous le demande ! C’est dangereux, bruyant et mouillé ! Tout ça pour traverser ou remonter (ou alors descendre, ça dépend) un grand canal qu’ils appellent le Grand Canal.

Original, comme nom, vous ne trouvez pas ?

Comment ça, ce que c’est que des vaporetti ? Un vaporetto (s’il y en a plusieurs, c’est des vaporetti), c’est un genre de grande barque noire et blanche où des dizaines d’humains s’entassent au risque de tout faire couler. Ils se disputent, ils se bousculent, se marchent sur les pieds et s’en vont faire un tour sur l’eau.

Ça n’a pas l’air de leur plaire, mais ils le font quand même. Quand ils en ont assez, ils finissent tout de même par descendre et regagner la terre ferme et ils n’ont pas l’air d’être tellement plus contents qu’avant.

Bizarre, non ? Et je ne vous parle pas des gondoles, avec un humain qui reste debout et qui chante à tue-tête pendant que deux autres, assis, se regardent en chiens de faïence !

Un autre endroit que j’aime bien, c’est celui que j’appelle le Jardin du Trône. On ne peut y aller que la nuit, parce que dans la journée, c’est ouvert aux humains, qui s’y comportent comme s’ils étaient chez eux. Ils entrent, ils sortent, ils parlent dans tout un tas de langages que je ne comprends pas, ils prennent des photos et ils rigolent. Il y en a même qui osent s’asseoir sur le Trône !

Et hop, re-photo !

Le Trône, c’est réservé au chat qui a quelque chose d’important à dire aux autres félins de Dorsoduro. On ne l’utilise pas souvent, mais je peux vous dire que quand on s’en sert, c’est qu’il y a quelque chose de sérieux !

On va dans le Jardin pour la Saint Mistigri, aussi.

La Saint Mistigri, c’est tous les deux ou trois mois à peu près : on se retrouve tous là et on s’amuse bien : on fait du bruit. Ces jours là, le Trône ne sert que pour proclamer l’ouverture de la fête, et après on n’a plus le droit d’y monter. Mais on monte sur d’autres choses : les humains ont placé plein de bidules amusants pour que les chats puissent grimper. Alors on en profite : on court, on saute, on s’amuse, et comme ça tout la nuit.

Quand les chats ne sont pas dans le Jardin du Trône, les souris n’y dansent quand même pas, parce que c’est infesté d’humains. Ils appellent ça un musée. Ça aussi, c’est un drôle de truc : ils se bousculent pour aller voir des images accrochées sur les murs et des sculptures placées un peu partout au milieu du chemin.

Moi, je ne suis jamais entré, mais j’en ai vu quelques unes par la fenêtre, de ces fameuses images. Eh bien vous savez quoi ? Ça ne m’a pas donné envie, mais alors pas du tout, d’en voir davantage ! On apercevait la photo d’une vieille humaine avec tout un tas de chiens autour d’elle ! Je vous demande un peu... des chiens !

Les humains vont exprès dans des endroits où ils peuvent voir des photos de chiens ! Et en plus, mon pote Dandolo, un autre chat du quartier, prétend qu’ils payent pour aller voir ça. Heureusement, je sais que Dandolo exagère toujours et qu’il lui arrive de raconter n’importe quoi !

Je fais semblant de le croire, et je le laisse dire.

Quand même... des chiens !

Et celui d’à côté, tiens, qui continue son tintamarre ! Il ne peut donc pas se taire, ce ramolli du cerveau ? Il hurle à la mort, ou quoi ?

A bien y réfléchir, j’ai l’impression que c’est ça : il hurle à la mort.


Due


Quand un chien hurle à la mort, c’est souvent parce qu’il est enfermé. Rien de plus grave que ça.

Comme le chien est en général trop paresseux pour partir en exploration, et trop stupide pour trouver la sortie tout seul, il reste comme une andouille, vautré sur un canapé ou un fauteuil. Les humains en profitent pour le planter là, et quand la nature lui rappelle qu’il a une vessie, il hurle.

Un chien ne sait pas grand-chose, mais il sait tout de même qu’il n’a pas le droit de mouiller le canapé, ni les tapis, ni rien en fait.

Alors quand il s’aperçoit qu’il ne peut pas sortir, il braille comme si toute la misère du monde s’était abattue sur sa pauvre tête de chien. Quelquefois, c’est même trop tard pour le canapé, et il hurle juste pour éviter de se faire disputer.

Mais bon, celui là, en ce moment précis, il me casse vraiment les oreilles !

Bougre d’empoté ! Il ne peut donc pas sortir tout seul ? Je crois que si je veux être tranquille, il va falloir que j’aille lui ouvrir, mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude !

Bon, d’abord, me lever, et puis surtout m’étirer. En règle générale, je m’étire quand j’ai bien dormi... Mais là, je crois bien que je n’ai pas fermé l’œil une seule seconde, avec l’autre excité des cordes vocales ! Ça ne fait rien, je m’étire quand même. Je ne vais pas me précipiter à son secours, non ?

Je monte jusqu’aux chambres du dernier étage, juste en dessous des toits. De là, c’est facile de passer dans la maison d’à côté et puis de redescendre. Je ne le fais quand même pas trop souvent, parce que quand le chien me voit, ça le met dans tous ses états.

Bon, la corniche, le soupirail, j’arrive dans le grenier du voisin. Direction l’escalier, premier étage, rez-de-chaussée, la cuisine... la porte de derrière donne sur le jardin. Elle est facile à ouvrir, c’est juste une espèce de barre sur laquelle je dois me suspendre et me balancer un peu. Au bout de deux ou trois fois, ça s’ouvre tout seul. Un jeu de chaton !

Même un chien devrait pouvoir y arriver. Enfin, peut être pas celui-ci : il est quand même particulièrement nouille!

Clac ! Une bonne chose de faite ; Maintenant que la porte est ouverte, je n’ai plus qu’à sortir le chien.

Non mais quand même, ce qu’il ne faut pas faire pour dormir en paix ! C’est le boulot de Monsieur Barbieri, son humain, ça !

Le balourd est dans la pièce à côté, en train de continuer sa sérénade. Et ça crie, ça s’égosille, ça pleurniche... à l’entendre, on ne dirait jamais qu’il est trois fois plus gros que moi. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai ouvert la porte de derrière avant de me montrer : dès qu’il me verra, il va s’énerver. Je filerai par la porte ouverte et il n’aura qu’à me suivre.

Je l’emmènerai jusqu’au jardin, mais pas plus loin : dès qu’il sera sorti, il faudra que je saute sur une branche, et de là sur le mur. Tant pis s’il s’agite : pas question de rester avec lui en bas !

Pousser la porte pour lui permettre de venir dans la cuisine... Houlà, c’est plus dur que je ne pensais ! On dirait qu’il y a quelque chose qui coince. Ça bouge, mais pas aussi facilement que je l’espérais.

Ne me dites pas que c’est l’autre imbécile qui s’est assis derrière la porte pour pleurnicher !

J’hésite un moment sur la conduite à tenir, et moi, c’est toujours pareil quand j’hésite : je fais un brin de toilette. Tout en me léchant les coussinets, je me dis qu’en poussant assez fort, ça devrait pouvoir s’ouvrir. Je vais encore me salir, mais bon…

Je me précipite sur le battant avec mes pattes de devant ; vlan, prends ça ! Un coup dans le râble ! Ça t’apprendra à bloquer les portes.

Il continue comme si de rien n’était. Bon, la porte s’ouvre un peu plus : c’est déjà ça. Je recommence ?

Allez !

Deuxième assaut, la porte est encore un peu plus ouverte. Il est complètement idiot de rester comme ça derrière la porte ! Enfin, s’il aime recevoir des coups, je veux bien être gentil avec lui et lui en donner, après tout. Mais que ça ne dure pas tout l’après midi : j’ai une sieste à faire, moi !

Je m’élance encore deux ou trois fois. La porte s’ouvre de plus en plus. Le chien, lui, il braille toujours pareil : pas plus, pas moins.

Je juge que l’ouverture devrait être suffisante pour lui. Le moment est venu de l’attirer dans la cuisine, et de là, dans le jardin. Je passe la tête par l’entrebâillement... tiens ce n’est pas le chien qui est derrière la porte !

C’est un humain ! Il est allongé par terre.

On dirait monsieur Barbieri ! Qu’est ce qu’il fait là ?

Le chien s’est arrêté de hurler. Il m’a vu, il me regarde avec ses yeux moites, totalement pathétiques. Il doit être malade : d’habitude, il se serait déjà précipité sur moi en aboyant comme un possédé.

Ça m’intrigue, ce bonhomme par terre. D’habitude, il est debout. Pourquoi est-ce qu’il est allongé là ?

Est-ce qu’il serait en train de faire semblant de dormir pour faire taire le chien ? Il n’a pas l’air de bouger du tout ! On dirait même qu’il ne respire pas. J’entre prudemment dans la pièce, le chien ne réagit pas. Il se contente de pousser de petits gémissements ridicules, comme s’il me demandait quelque chose. Je n’en ai pas assez fait pour lui, peut être ?

Hé, ho ! La porte est ouverte, crâne de piaf !

Monsieur Barbieri est un drôle de type ! Déjà, il habite dans une maison qu’il partage avec un chien, rien que ça, c’est une idée saugrenue ; mais maintenant, voilà qu’il se couche derrière les portes. Je renifle un peu. Il ne bouge pas du tout.

Il est peut être mort, après tout.

Oui, c’est sûrement ça, il doit être mort. Bon, alors si c’est ça, c’est une bonne raison pour rester là sans bouger. Je préfère : je n’aime pas les situations que j’ai du mal à expliquer.

Enfin, me voilà rassuré : tout va bien. La porte est ouverte, le chien peut aller se promener s’il en a envie, et moi je vais pouvoir dormir. Enfin ! Pas trop tôt !

Pour Monsieur Barbieri, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire, ni moi ni qui que ce soit. C’est simplement un peu embêtant pour le chien... Qui va lui donner à manger ? Les chiens ne savent pas trouver leur nourriture tout seuls, c’est bien connu ! Le mieux est sans doute de laisser la porte ouverte. J’espère que personne ne va avoir l’idée d’enfermer dans la maison cette cervelle de souris : je serais obligé de retourner lui ouvrir !

Je réfléchis à tout ça, et bien sur, quand je réfléchis, je me lave un peu, ça stimule les neurones. Je crois que je vous l’ai déjà dit, non ? C’est pour ça que nous nous lavons souvent, nous autres les chats : ça nous permet de réfléchir.

C’est sans doute aussi pour cette raison que les chiens sont stupides : ils ne se lavent pas assez.

Allons bon ! Qu’est ce qu’il a, maintenant ? Le voilà qui se met à grogner ! Je lui fais mon regard qui paralyse, droit dans les yeux. Mon fameux « Tu ne m’impressionne pas ! »

Et alors ? Il continue ? Tout ça parce que j’ai mis quelques pattes sur Monsieur Barbieri pour

mieux sentir ce qui se passait ? Je n’ai pas le droit de monter sur Monsieur Barbieri ? Il s’en fiche : il est mort !

Ça y est, le voilà qui m’aboie après ! Le chien, je veux dire ; Monsieur Barbieri ne ferait jamais une chose pareille, surtout maintenant !

Il va me sauter dessus ! Repli stratégique d’urgence : Je me carapate à toute vitesse par l’entrebâillement de la porte, traverse la cuisine avec la brute sur les talons. La porte de derrière, le jardin, le tronc du figuier, la branche, le mur...

Ouf ! Mission accomplie. Je marche encore un peu sur le mur pendant que le chien s’énerve tout seul en bas. Laissons-le se fatiguer un peu, il dormira mieux ce soir, et moi aussi avec un peu de chance.

Il devrait être bien, là, dans le jardin. En cherchant un peu, on peut y trouver plein de bestioles : des mulots, des piafs en tous genres… il devrait quand même réussir à attraper quelque chose à manger. Enfin, qu’il ne compte pas sur moi pour le nourrir, je ne suis pas sa mère !

Pas son père non plus, surtout que depuis mon opération… bon, mais ça, c’est une autre histoire.

Je remonte me coucher. C’est que je n’ai pas fini ma sieste, moi !



Les chiens ont des maîtres, les chats ont des esclaves.

Je ne sais plus qui a dit ça, mais je crois que je pourrai le mettre en exergue de l'histoire dont vous venez de lire le début...



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