vendredi 11 avril 2008

Supergatto di Venezia (Suite)

La suite de Supergatto. Pour ceux qui ont lu les deux premiers chapitres, je vous rappelle que nous avons laissé Wilson retourner à sa sieste avec le sentiment du devoir accompli.
Pour un chat, c'est une notion très abstraite...
Il a découvert un de ses voisins inanimé derrière la porte de son jardin. Pas de quoi fouetter un chien. Ça ne va pas bouleverser sa vie de chat, et peut être même que ce sera mieux qu'avant...


Tre

À peine eu le temps de m’endormir ! Encore un raffut de tous les diables. Ma parole, c’est la Saint Mistigri pour les humains et les chiens, ou quoi ?

Pas longue, ma sieste, aujourd’hui ! Tout le monde s’est passé le mot pour m’empêcher de dormir !

Bon, je n’entends plus le chien de Monsieur Barbieri, quelqu’un a sans doute réussi à le faire taire. Par contre, il y a plein de monde dans le jardin d’à côté : des humains.

Je jette un coup d’œil. Sacrée fête, dis donc ! Plein plein d’humains ! Il y en a plusieurs qui sont habillés pareil, certains parlent dans des espèces de téléphones, ça prend des photos, ils mesurent le jardin… sans doute pour voir s’ils peuvent inviter d’autres copains. Ils n’ont vraiment pas le compas dans l’œil : moi, d’ici, je vois bien qu’ils pourraient être trois fois plus nombreux, au moins.

Mais pas question de leur dire ; ils font bien assez de bruit comme ça !

Au bout de quelque temps, je les vois emporter Monsieur Barbieri. Ils l’ont mis sur une sorte de civière avec une couverture qui le recouvre entièrement pour qu’il n’attrape pas froid. Gentil de leur part, mais ça ne sert pas à grand-chose à mon avis.

Je suppose que c’est pour faire davantage de place qu’ils l’emmènent.

Ils vont faire la fête dans la maison aussi ? Ça va faire du monde, dis donc. C’est pour ça qu’ils étaient en train de téléphoner tout à l’heure ? Pour inviter d’autres humains ? Sacré raffut en perspective !

Je ferais aussi bien d’aller faire un petit tour, ça va être agité par ici. J’essaie de penser à un endroit sympa pour aller me promener, et moi, quand je réfléchis, je fais un brin de toilette... enfin bon, vous savez, je vous l’ai déjà dit.

Le jardin du trône ? Non, trop tôt, c’est encore plein d’humains qui me dérangeraient. Santa Maria della Salute ? Mouais, à la rigueur. Ou alors le Palazzo Dario, tiens. Les fantômes doivent y être en ce moment, tant mieux : on rigole bien avec eux.

Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : il y a quelques fantômes au Palazzo Dario. C’est même pour ça que les humains, les vivants, je veux dire, ne veulent pas y habiter.

Pourtant, c’est gentil, les fantômes ! Ce sont des humains, enfin comme des humains, mais en plus rigolo. Leur seul problème, c’est qu’ils ne nous donnent pas à manger, mais ce n’est pas de la mauvaise volonté de leur part : ils ne peuvent rien attraper.

Bon, je vais faire un tour au Dario... il y aura peut être aussi quelques copains à moi, des copains chats, je veux dire.

J’arrive à peine en bas de l’escalier que Laura me voit et se plante devant moi. Je me pose sur mon derrière pour lui laisser le temps de me raconter ses petits malheurs.

- Te voilà, Wilson ! Tu as encore dormi tout l’après midi, hein ?

J’essaie de lui protester, de lui envoyer des pensées pour lui expliquer, « Non, je n’ai pas dormi, non, je n’ai pas dormi, j’étais à côté à cause du chien... », mais elle m’attrape en dessous des pattes antérieures et me soulève du sol.

Je déteste quand elle fait ça ! Elle me prend pour sa poupée ou quoi ? Elle n’a plus huit ans, quand même ! Elle en a au moins le double, ça doit faire treize ou quatorze. C’est vrai que pour les humains, treize ou quatorze ans, ce n’est pas grand-chose : à peine comme neuf ou dix mois pour un chat. Les humains ont un développement très très lent !

D’habitude, elle est plutôt gentille avec moi, Laura, mais je n’arrive pas à lui faire comprendre que je n’aime pas qu’elle m’attrape comme ça.

Moi, quand on me soulève par-dessous les pattes, j’ai l’impression de perdre le contrôle de la situation, sans compter que ça peut me faire mal.

Elle a l’air de s’en moquer complètement ! Elle me regarde droit dans les yeux (ça aussi, je déteste !) et elle me raconte des histoires sans queue ni tête à propos de choses qu’elle n’a même pas vues !

- Tu te rends compte, Wilson ? Notre voisin, Monsieur Barbieri, il a été assassiné ! Enfin, je ne sais pas pourquoi je te raconte ça, tu ne peux pas comprendre !

Elle me prend pour un crétin ou quoi ? Bien sur que je sais ce que ça veut dire, assassiné ! Assassiner, c’est quand on tue quelque chose pour ne même pas le manger ni s’amuser avec ! Moi, par exemple, je n’assassine jamais les mulots ni les oiseaux, puisque je les mange toujours, enfin au moins un petit peu.

Même les lézards, qui ne sont vraiment pas bons à manger, on ne peut pas dire que je les assassine, puisque je joue un moment avec eux juste avant leur dernier soupir.

Je ne suis pas un assassin, moi !

- Ce pauvre Monsieur Barbieri ! Il était si gentil ! Il a même ouvert la porte à son chien Sultan avant de mourir, pour qu’il ne reste pas enfermé ! C’est le chien qui a donné l’alerte.

- Tu parles ! C’est moi qui lui ai ouvert la porte, à cette andouille de chien ! Il braillait à l’intérieur de la maison comme un demeuré !

Sultan ! Non mais quel nom idiot pour un chien ! Enfin ça lui va très bien : il doit avoir la cervelle comme un raisin sec !

- Tu te rends compte de l’attachement de ce pauvre chien pour son pauvre maître ?

(Ça y est, pensai-je, nous voilà chez les pauvres, ici dans le Dorsoduro : pauvre Monsieur Barbieri, pauvre chien… pauvre de moi, oui !)

- Et toi Wilson, continuait Laura, qu’est ce que tu ferais si tu nous trouvais tous assassinés ?

- Laisse-moi réfléchir. Ma toilette peut être ?

- Et puis ce pauvre chien, qu’est ce qu’il va devenir, maintenant qu’il n’a plus de maître ?

- Il pourrait quitter le quartier...

- Madame D'Annunzio l’a emmené chez elle, mais elle habite sur le Lido. Je ne sais pas si elle pourra le garder ; et puis je me demande s’il sera heureux, là bas.

- Plus heureux qu’ici, sans le moindre doute ! Et nous aussi par la même occasion quand il sera loin !

Je commençais à avoir sérieusement mal aux flancs et aux pattes. Je me débattis un peu pour me dégager.

- Oh, Wilson ! Vilain chat ! Tu m’as griffée ! Fais donc un peu attention !

- Oups, pardon... pas fait exprès !

J’étais plutôt content de retrouver le sol. Enfin quelque chose de concret pour avancer ! Je m’élance à toute vitesse vers la porte et en deux bonds, me voilà dehors. J’entends encore Laura qui me crie :

- Tu peux bien te sauver, tiens, c’est très vilain, ce que tu m’as fait.

Et alors ? Je ne l’ai pas fait exprès... Il faut lui dire ou lui chanter en latin ?

C’est que je m’étais fixé un programme, moi ! Le Palazzo Dario n’est pas bien loin, mais j’avais décidé d’y aller il y a déjà un moment, et si j’attends trop avant de mettre mes projets à exécution, j’ai tendance à les oublier. Après, je suis bien embêté et je réfléchis comme un fou pour essayer de me souvenir de ce à quoi j’étais en train de penser.

Enfin comme ça, au moins, je suis toujours propre.


Ah, oui, j'oubliais : pour ceux qui ne connaissent pas Venise, ce que Wilson appelle le "Jardin du Trône", c'est le jardin du musée Guggenheim.


Bien sûr, l'humaine entourée de ses chiens, c'est Peggy (Je parle de Peggy Guggenheim, bien sûr. Il y aura une autre Peggy un peu plus tard dans l'histoire, mais elle a quatre pattes et des moustaches.).

Pour le Palazzo Dario et le Piazzelo Barbaro, je vous mets une aquarelle. Comme ça, vous verrez où habite Wilson...


jeanlouis.jabale@club-internet.fr

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